Alors mettons tout de suite au point la chose suivante : à l'instar de nombreux gens, j'ai été grandement soulagé que Mélenchon ne capitule pas face à la pression du « vote-barrage », énième déclinaison du votutil, injonction de borgnes à l'usage d'aveugles. C'était un piège grossier, et il fallait du courage pour ne pas y succomber. Et pour que les choses soient claires, à l'instar de nombreux amis que je ne soupçonne guère de complaisance avec l'extrême-droite, je ne me déplacerai pas dans deux semaines. Entre l'extrême-droite et l'extrême-marché, lui-même carburant de l'extrême-droite, il n'y a pas à choisir... parce que ce n'est pas un choix, précisément !
Si, à ce stade, vous n'avez pas cessé votre lecture pour vous diriger vers les contrées plus riantes du conformisme électoral, c'est que vous êtes intrigué(e), curieux(se), ou bien trop furibard(e) pour croire ce que vous lisez. Dans les trois cas, voici les raisons qui ont alimenté ce choix.
1. Voter Macron... c'est voter Macron.
Faisons foin de tous les ronds de jambes, circonlocutions et autres tortillages langagiers utilisés depuis deux jours : « front républicain », « faire barrage au Front National », « faire le choix républicain (cette blague !) », etc. Dans un système représentatif (du moins se prétendant tel), vote vaut choix, choix vaut adhésion. Quelle que soit la pudibonderie entourant le dit choix. Et il n'est pas besoin, je pense, pour toutes les âmes sincères, de rappeler quel choix délétère cela constitue, au niveau social comme au niveau écologique. A moins que pour les amoureux de la soi-disant « Liberté », celle-ci comprenne également celle de saloper son écosystème sans limite.
Faire le choix de Macron, c'est nier tout ce pour quoi les FI se sont battus comme des lions pendant des mois. Et on nous sommerait d'oublier tout cela, comme si finalement le bonheur de nos semblables, la survie de notre espèce, tout cela n'avait finalement aucune importance ? Que les petits marquis de toutes obédiences apprennent donc ici que pour beaucoup d'entre nous, il ne s'agit pas d'un jeu. Si nous nous battons pour quelque chose, c'est parce que nous y croyons. Et nos convictions ne sont pas marchandables à l'encan des bonnes manières. Nous ne voterons pas Macron tout simplement parce que tout ce qu'il représente nous répugne, et condamne notre civilisation et notre écosystème à mort.
Une dernière objection subsiste : « Ah, mais il sera obligé de tenir compte de ceux qui ont voté pour lui au second tour ! ». Voui, voui, voui. On a bien vu ce que cela a donné avec Hollande : les demandes bien modestes exprimées au lendemain du second tour de 2012, comme la libération des syndicalistes injustement condamnés, ont été traités par le mépris, auquel Hollande a rajouté la rare perversité (narcissique) de dire blanc à Mélenchon, avant de dire noir publiquement le lendemain. Et Macron et ses suivants ont été à la même école (puisque pour beaucoup, ce sont des transfuges du hollandisme). Ce sont des visages pâles à la langue fourchue ; pour eux, « honneur » est un concept vide de sens. On ne s'y fiera plus.
2. Voter Macron, c'est réduire à néant la dynamique FI.
Il existe bien évidemment une autre catégorie de prescripteurs : outre les sincères désorientés, les petits marquis hypocrites, il y a également les stratèges pervers. Ce sont véritablement eux qui triomphent aujourd'hui. Ce sont les partisans de la « mondialisation heureuse » (heureuse pour eux, surtout ; tant que leur place au banquet est assurée, peu importent les millions d'affamés à la porte). Tant que cette fugace illusion pouvait tenir auprès des classes moyennes, il n'y avait aucun problème ; le vote FN n'était que le refuge d'imbéciles trop stupides pour s'ouvrir au monde, ou de malheureux trop ignares pour s'adapter au marché du travail.
Mais lorsque le krach de 2008 est survenu, et que de nombreux yeux se sont dessillés, ces stratèges n'avaient plus les moyens de maintenir l'illusion. Ils ont alors commencé à jouer un jeu dangereux, un jeu dans lequel les partis d'extrême-droite ont pleinement joué leur rôle : réduire tout choix électoral à une fausse alternative entre extrême-marché, et son darwinisme social de plus en plus franchement assumé, et une extrême-droite toute aussi délétère. La troisième solution, celle du partage, devait bien évidemment être bannie des esprits. Pour cela, les moyens ne manquent pas : la tenir sous silence (avec la concentration des médias, l'embargo médiatique devient en effet manœuvre aisée), et, lorsque cela ne marche plus, la discréditer. Comment ? Pas compliqué : en l'assimilant à un bon vieux soviétisme des familles - on aurait pu quotidiennement faire un jeu à boire avec le nombre de reductionem ad stalinum dans les commentaires, analyses, et posts sur les médias et les réseaux sociaux. Crade, mais efficace.
Cependant, à part pour une poignée d'imbéciles dépourvus de toute culture politique et historique, le stratagème commence à s'éventer. Il est vrai que près de 20 %, ça commence à inquiéter. Et une victoire à un cheveu ne suffit pas ; pour les oligarques et leurs commis, il faut éviter à tout prix que le poison du partage ne se répande dans les têtes. Il ne suffit donc pas de contenir ; il faut écraser, anéantir jusqu'au souvenir de cette possibilité dans les têtes, particulièrement chez les plus déboussolés, qui sentaient un espoir de ce côté. Et voici donc l'ultime manifestation de cette entreprise de terrorisme intellectuel, chef-d'œuvre de perversité : faire en sorte que les partageux se discréditent eux-mêmes. Comment ? En les ramenant, par la force de la peur, dans le camp de l'extrême-marché.
Il y a urgence, en effet : le camp du partage regagne du terrain chez les déshérités. Les jeunes ont voté en masse pour Mélenchon, et pour la première fois, le FN commence à voir son hégémonie contestée chez les ouvriers. Ce n'est pas encore le renversement que certains espéraient, mais le processus est entamé.
Quoi de mieux, alors, pour décourager ces catégories-là, que de leur montrer par le « vote-barrage » que finalement, ce-sont-tous-les-mêmes, « qu'ils nous racontent bien ce qu'ils veulent, qu'au bout du compte ils se retrouvent pour s'entendre et se partager les places ? » Il faut le reconnaître, le stratagème est extrêmement habile, car prompt à jouer sur les peurs des gens de gauche sincères qui savent pertinemment ce qu'il en est, mais se font avoir malgré tout.
Si la FI joue le jeu de ces prescripteurs, elle se saborde dans l'instant. Les petits marquis le savent parfaitement, et c'est bien pour cette raison qu'ils y insistent si fort. Il ne faut pas y voir une pression insurmontable, mais plutôt l'ultime ressort d'une caste qui commence à être à bout d'arguments pour faire rentrer les mauvaises têtes dans le rang. Ne leur cédons pas.
3. Laisser le FN gagner, c'est la disparition des libertés publiques. C'est un risque plus immédiat.
Effectivement, le risque est plus immédiat. Ce n'est pas pour autant que le risque est absent en cas de victoire de Macron. J'ai eu l'occasion de dialoguer il y a peu avec un médiapartien assimilant Mélenchon à Staline, et se posant en défenseur inconditionnel de la liberté. Je ne veux pas parler pour lui, et je ne veux pas lui faire un procès d'intention. Mais je voudrais rappeler que tous les petits marquis médiatiques défendant leur « liberté chérie » à la sauce Charlie ne sont que d'immenses hypocrites et intellectuaillons de salon. Car pour tous ceux qui sont en lutte sur le terrain, on sait pertinemment ce qu'il subsiste des libertés publiques dans notre belle France : rien qu'un vaste sujet de plaisanterie.
Et si l'on trouve mes propos excessifs, qu'il me soit permis de rappeler ici ce qui se passe sur les ZAD, ou sur les places publiques où nuit Debout a tenté un temps de faire valoir son point de vue : la réponse du pouvoir ci-devant «socialiste » est invariablement discréditation médiatique, matraque, gazage, trique et emprisonnement arbitraire. Quand ce n'est pas l'assassinat pur et simple. Ce n'est pas sous un Etat fasciste que Rémi Fraisse a été assassiné, que le pouvoir a tenté de maquiller l'affaire avant de l'assumer totalement, dévoilant ainsi son cynisme le plus total, et ajoutant l'ignominie à l'ignominie en retenant le corps du malheureux pendant des mois, privant sa famille d'un deuil légitime. Non, Mesdames et Messieurs, tout cela s'est produit sous la tutelle du Parti ci-devant Socialiste, dont celui pour lequel on nous demande de voter aujourd'hui a été membre, et agent très actif.
Ce n'est pas sous un régime FN que l'on a évoqué la possibilité d'inscrire la déchéance de nationalité dans la constitution, donnant ainsi une caisse de résonnance médiatique et politique formidable aux idées répugnantes que les mêmes hypocrites nous somment d'abjurer aujourd'hui. Ne nous privons pas de rappeler ces faits à ces petits messieurs, pour renvoyer au petit marquis Guillon sa propre expression, et renvoyons-les à chaque fois à la honte absolue qui ne devrait jamais les quitter jusqu'à la fin de leurs jours.
Ce n'est enfin pas un gouvernement fasciste qui a fait voter l'année dernière des lois liberticides et scélérates surveillant l'expression sur le Net, traquant la moindre pensée dissidente, au nom de la lutte contre un ennemi qu'il a largement contribué à fabriquer pour faire oublier ses propres turpitudes, et qui use de l'état d'urgence pour enfermer les militants écologistes, préfigurant ce qu'il adviendra bientôt de tous les opposants politiques. Non, ce sont bel et bien MM. François Hollande, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Emmanuel Macron, ceux derrière lesquels on nous enjoint de nous ranger aujourd'hui comme un seul homme. Voter pour réinstaller ces scélérats au pouvoir, leur donner quitus de leurs errances, et pardonner l'impardonnable ? Ce sera sans moi.
Voilà pourquoi il est impensable aux vrais amoureux de la liberté, à ceux qui rêvent de partage, et à ceux qui ont la défense de notre écosystème à cœur, de voter pour celui qui incarne la négation la plus absolue de ces combats. Que l'expérience accumulée ces derniers mois serve au contraire à nous rappeler ceci : nous pouvons être battus, nous le serons sans doute encore sur le chemin, mais nous ne nous laisserons plus jamais intimider. Nous n'aurons plus jamais peur.