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Billet de blog 3 mai 2010

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Lettres persanes de « Fantômette »

N'allez pas chercher d'autres analogies entre ces lettres de Fantômette et l'oeuvre de Montesquieu à part l'anonymat souhaité par les auteurs pour éviter les ennuis. Loin d'un regard naïf (ne serait-ce qu'en apparence chez Montesquieu), ces lettres constituent un « digest » des évènements les plus récents concernant l'Iran et la poursuite de la lutte pour les droits civiques. 

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N'allez pas chercher d'autres analogies entre ces lettres de Fantômette et l'oeuvre de Montesquieu à part l'anonymat souhaité par les auteurs pour éviter les ennuis. Loin d'un regard naïf (ne serait-ce qu'en apparence chez Montesquieu), ces lettres constituent un « digest » des évènements les plus récents concernant l'Iran et la poursuite de la lutte pour les droits civiques.

Dans la dernière lettre, datant du 24 avril et que je reproduis ici avec l'accord de l'auteure, on lit des nouvelles allant des plus accablantes concernant la situation des droits de l'Homme, qui ne cesse de se dégrader, à celles plus cocasses concernant la relation de cause à effet proclamée par les mollahs entre l'indécence (selon les critères imposés par le gouvernement théocratique) de la tenue vestimentaire des femmes et les séismes (aussi relaté la semaine dernière dans le blog sous ce lien).

Ajoutons à la liste noire des exactions des dirigeants iraniens qui cherchent à museler toute opposition ou résistance, la suspension de deux partis politiques réformateurs, proches de l'ancien président M. Khatami, qui avaient soutenu le candidat M. Moussavi aux élections présidentielles du mois de juin 2009 (voir le lien NYTimes ici).

Enfin, RSF vient de classer ce 3 mai, à l'occasion de la journée internationale de la liberté de la presse et à juste titre, M. Khamenei et M. Ahmadinejad parmi les 40 prédateurs du globe (voir ici).

Lettre du 24 avril

Bonjour à tous.

Les évènements de ces dernières semaines en Iran se résument essentiellement aux arrestations et aux violations des droits de l’Homme. Hélas, rien qui soit inhabituel ni étrange en république islamique…

Dans une lettre ouverte adressée aux responsables, les détenus de la section 350 de la prison d’Evin dénoncent le caractère inhumain de leur détention, les maltraitances et les pressions qu’ils subissent de la part de leurs interrogateurs. Ils ont entamé une grève de la faim pour protester contre ces conditions inacceptables. Ils ont annoncé que leur grève continuerait jusqu’au 12 juin.

Madame Motahereh Bahrami vientd’être condamnée à mort ainsi que tous les autres membres de safamille par le tribunal islamique. Elle avait été arrêtée le 27décembre dernier en compagnie de son fils, de son époux, d’un autre parent et d’un ami. Il semblerait que le pouvoir iranien a voulu punir toute la famille aussi bien pour avoir protesté le 27 décembre, que pour avoir un fils ainé membre des moudjahidine du peuple.

www.astreetjournalist.com/2010/04/18/death-penalty-for-a-family-of-five/ (en anglais)

Keyvan Goudarzi, un étudiant originaire de laville de Gilangharb, tué sous la torture par les services des renseignements iraniens, a été enterré le 22 avril dans sa terre natale. La veille, la majorité des membres de sa famille avait été convoquée par les renseignements iraniens, qui leur ont interdit de filmer ou photographier les funérailles et ont ordonné à la famille d’annoncer que Keyvan s’était suicidé. Les proches qui n’ont pu voir le corps qu’au moment des ablutions rapportent que les pieds et les poignets de Keyvan portaient des traces de brûlures à l’électricité. Il avait deux trous faits avec une perceuse sous les oreilles, son crâne était complètement écrasé, son nez, ses dents et jambe droite étaient cassés, et le bas du corps était entièrement noir.

Malgré toutes les intimidations de la part du pouvoir, plus de dix mille habitants de Gilangharb ont assisté aux funérailles. Les étudiants de son université ont boycotté les cours en signe de deuil et ont allumé des bougies à sa mémoire. Il faut préciser que Keyvan n’a jamais été arrêté officiellement, il avait reçu des menaces à plusieurs reprises et un jour il a tout simplement disparu.

Le cercle des activistes des droits de l’homme a relevé 38.879 cas de manquements et de violations aux droits de l’homme en Iran depuis le mois dernier. Il faut ajouter à ce chiffre 127 cas concernant les minorités ethniques ainsi que 68 cas de violations et d’arrestations des membres de minorités religieuses. On rapporte que 4 prisonniers ont péri sous la torture le mois dernier et qu’il y a eu 34 cas de grèves de la faim dans toutes les prisons du pays. Selon la même source, les condamnations à mort se sont multipliées durant le mois de Farvardin (21 mars-21 avril) et 28 personnes ont été exécutées uniquement la dernière semaine du mois.

Ces rapports accablants ont peut-être forcé le régime à renoncer à présenter sa candidature pour un siège au conseil des droits de l’homme aux Nations Unies. Peggy Hicks, responsable de l'ONG Human Rights Watch, a déclaré à ce propos qu'une "opposition mondiale grandissante avait forcé l’Iran à se mettre hors course". Elle s'est réjouie de ce retrait, y voyant une condamnation évidente de "l'écœurant dossier" de l'Iran dans le domaine des droits de l'Homme. www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/04/24/97001-20100424FILWWW00396-l-iran-renonce-au-conseil-de-securite.php

On rapporte une nouvelle vague d’arrestations à l’université d’Arak. La semaine dernière, six étudiants ont été exclus à vie de l’université. Les protestations liées à l’exclusion de ces étudiants provoqueraient l’intervention des forces de l’ordre dans l’enceinte de l’université depuis ces derniers jours.

Les forces de l’ordre de la ville de Tabriz viennent d’installer des caméras à l’université afin de contrôler les étudiants et de prévenir les manifestations.

Le samedi 17 avril, les étudiants de l’université d’Amol (Mazandéran) se sont rassemblés devantl’Hôtel de ville pour demander la libération de leurs amis arrêtés. Attaqués par les forces de l’ordre, les étudiants scandaient “libérez les prisonniers politiques”. Dans l’ensemble, depuis un mois le mécontentement de la population se manifeste particulièrement dans les universités et les usines. Dans de nombreux sites industriels du pays les ouvriers ont appelé à la grève pour réclamer les salaires en retard.

Pendant ce temps, les dirigeants iraniens ne chôment pas ! Ils cherchent en effet de nouvelles méthodes antisismiques: Je ne résiste pas au plaisir de citer le prêche de l’Ayatollah Sedighi, à la prière de vendredi16 avril :

«Beaucoup de femmes ne s'habillent pas décemment (…), détournant ainsi les jeunes hommes du droit chemin, et corrompant leur chasteté, ce qui augmente les tremblements de terre».

L’Ayatollah Djenati a lui aussi averti le peuple au cours de la prière du vendredi 23 avril : On peut éviter le tremblement de terre en tournant ses pensées vers Dieu et en se consacrant à la prière.

Dans la même veine et au cours du même rassemblement, l’Ayatollah Ahmad Khatami a affirmé: En retrouvant la voie de Dieu, en vous confessant et en vous repentant, le tremblement de terre s’arrête immédiatement.

Le plus curieux dans toutes ces déclarations est que l’Iran, et particulièrement Téhéran, se trouve dans une zone sismique…

Pour mémoire, les sismologues alertent depuis de nombreuses années les autorités sur le risque majeur qui pèse sur Téhéran: www.teheran.ir/spip.php?article1112 (en français)

Serait-ce parce que la république islamique a échoué à faire des Iraniens de bons musulmans ? Ou bien parce que les femmes iraniennes sont habillées de manière indécente ? Un blogueur iranien écrivait hier à ce sujet: « Si des tenues féminines ont le pouvoir de susciter des tremblements de terre, quel châtiment attend alors ceux qui emprisonnent, torturent et qui enterrent des innocents dans les fosses communes ? »

A propos des femmes iraniennes, notons que le nom d’une des grandes poétesses iraniennes, Forough Farrokhzad a été effacé dans la «Grande anthologie de la poésie de l’Iran et du monde » qui vient de paraitre en Iran.

M. Omidi, l’éditeur de ce livre a déclaré: «Nous avons une diplomatie culturelle et une diplomatie d’état. C’est pour cette raison que le nom de Forough Farrokhzad ne figure pas dans ce livre.» http://news.gooya.com/society/archives/103627.php (en Persan)

On trouve déjà très difficilement en Iran les livres de Sadegh Hedayat, et les livres de poésie de Khayyâm sont souvent censurés. Désormais, les poèmes de Forough Farrokhzad se joignent au cortège des bannis.

Terminons cette lettre avecun peu de légèreté!

Ces dernières semaines, quelques figures importantes du milieu artistique iranien sont décédées. Un(e) blogueur iranien écrivait il y a deux jours : " En ce moment il semble qu’Azraël, (l’ange de la mort) s’intéresse énormément aux artistes. Je voudrais juste lui rappeler que Khamenei aussi, fut un temps, jouait du luth… "

Avant de terminer cette lettre, j’attire votre attention sur le fait que l’ancienne adresse électronique de Fantômette n’est plus active. Désormais vous pouvez nous écrire à l’adresse suivante: Fantomette1388@gmail.com Je vous souhaite à tous un excellent week-end.

Amicalement.

Fantômette.

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