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Billet de blog 22 octobre 2014

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Un parrain à la bibliothèque.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Un parrain en prison, ça a de la gueule. Celui-là ne sortait que rarement en promenade et jamais seul, il y avait toujours quatre ou cinq détenus qui l'entouraient dans ses va-et-vient sur le terrain de basket bitumé. C'était marrant à regarder, le groupe arrivait au bout du terrain et chacun se retournait à l'unisson, comme un banc de poissons, ça allait et venait durant une heure ; ceux qui arrivaient en sens inverse s'écartaient courtoisement, ils avaient tout intérêt à le faire.


D'accord, pour trouver cette scène marrante il fallait être méchamment privé de distraction, c'était mon cas, je faisais mes six mois de taule, je remboursais heure après heure ma dette à la société. J'aurais préféré rembourser autrement, en faisant un boulot pour la société, travailler pour l'intérêt général, mais les juges ne m'avaient pas demandé mon avis. Valait mieux m'enfermer et que je coûte du fric. 

Je n’étais pas assez instruit pour détourner des millions sans me faire avoir, je n’avais pas étudié dans ces grandes écoles si préparatrices à ce genre de forfait. Juste assez éveillé pour être employé à réparer et ranger des livres sur les rayons du secteur socio-éducatif.

Ce parrain était érudit, chaque fois que l'Administration lui en donnait le droit il se pointait à la bibliothèque, choisissait quatre livres, le maximum permis (interdiction de trop lire ?), puis s'installait à l'une des grandes tables placées dans ce lieu. Il était, comme dans la cour, entouré de sa garde. Les autres tables étaient occupées par origine, le monde en tables ; l'Afrique du nord, le reste de ce continent, l'Europe et deux chaises pour les gitans. Ce n’est pas de ma faute, ce sont les hommes qui fixent ces règles, ils sont comme ça, ils ne veulent pas se mélanger.

Toutes ces tables étaient occupées par des types qui débattaient, ils ne le faisaient pas comme s'ils s'étaient retrouvés dans un lieu saint, ils ne chuchotaient pas, la cacophonie régnait en maître. Même l'arrivée impromptue d'un maton ne l'aurait pas fait descendre d'un ton. Sauf, s'il avait tiré un coup de revolver au plafond.

Sans que rien ne le laissa présager, le parrain tapa un grand coup de poing sur la table. Le silence s’installa pesamment. Si le bruit avait été fort, c'était surtout sa provenance qui inquiétait, les paroles qui suivaient finirentde glacer le sang de beaucoup.

Celui-là, il me le faut !

C’était dit si fort, que ces paroles allèrent se perdre jusque dans les méandres et autres couloirs du Centre socio-culturel de la prison.

Tous les types assis aux autres tables se mirent à lire ou à faire semblant. Une odeur de sang envahit les esprits, réveillant certains souvenirs enterrés au plus profond. Qui était visé, qui allait mourir et comment ? Peut-être était-il dans la salle ? L'angoisse... faudra faire gaffe dans les escaliers, dans les douches, lors des promenades.

Après le coup de poing, à la table du parrain la discussion se poursuivie sur un ton plus intime, de sorte que plus rien n’en transpira.  Le chef y mis un terme, en s'adressant à son voisin de droite.

— Oui, vraiment François, il me le faut ! Je mettrai le fric qu'il veut, mais ce terrain, il me le faut. Il va trop plaire à ma femme. On pourra y mettre les chevaux. Vraiment, je ne peux pas laisser passer un truc pareil. Je me souviens, c'est en pente vers la mer, c'est magnifique. Comme tu vas sortir avant moi, tu prépareras l’affaire pour moi.

Le voisin de droite acquiesça d’un signe de la tête. Autour de cette table, on continua à papoter jusqu'à l'heure de fermeture de la bibliothèque en fumant autour d'une Ricoré©.

D'ailleurs, ils étaient les derniers dans le local, les autres avaient quitté l'endroit, un par un, juste après les six premiers mots du Parrain, une heure auparavant.

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