VERT
Voilà une couleur que je n’ai jamais aimée.
Peut-être parce qu’elle se marie moyennement avec le bleu du ciel. Le grand bleu que j’adore.
Mon Bleu !
J’ai toujours vécu dans le midi et le vert du midi, excusez-moi, le vert des pins, des oliviers, des sous-bois, c’est un peu…comment dire sans vexer personne…un vert… un peu gris. Pas un vert de gris non, mais un vert doux, un peu cendré… Bref. Du vert qui a besoin de l’incendie des fleurs pour qu’on l’oublie.
Et me voilà, à l’aube de mes soixante-dix-huit ans, dans le pays du vert triomphant !
La splendeur du vert existait ! Oui !
On sait enfin ce qu’est la Vie gorgée d’eau !
Je regrette que nous n’ayons pas ce sens supplémentaire, qui nous manque, qui nous permettrait d’entendre la musique de la Vie. Je suis sûre que les arbres, l’eau, le ciel chantent dans l’espace des symphonies dont nous n’avons pas idée.
Quelle est la musique du vert ? Le vert éternel qui survit même à l’hiver. Car il ne faut pas croire, même en hiver, dans mon coin de campagne, le vert est vert. Il ne s’en lasse pas.
Quand on se promène, pour aller d’un village à l’autre, on a l’impression de traverser un golf que personne n’ose fouler. Le golf des dieux invisibles. Propre et chic.
Certes le bleu fait aussi son petit l’effet. Je ne le nie pas.
Mais ce n’est pas l’effet du vert qui parle d’abondance, de proximité, d’amour de l’homme à qui tout est promis. Le bleu a plus de lien avec l’infini surnaturel. Le vert tout près de nous est pour nous. Un chuchotement et une promesse : il ne partira pas.
Et lui, il s’harmonise avec toutes les couleurs. Les autres verts (pas raciste), les gris, les blancs, les jaunes, les dorés et même le bleu, ici, car le bleu intense et le vert intense sont à égalité. Puissants.
Le vert est la note forte qui rythme la partition des saisons.
En automne, par exemple, quand tous les arbres jouent à « perdons nos feuilles pour montrer nos branches dénudées », nous découvrons qu’un arbre que l’on a connu comme un mouton vert est surtout une puissance jaillie du sol, une tension, une énergie, une prière au soleil. Leur liaison est soudain avouée. L’hiver est la saison de la révélation.
Le vert des arbres qui abandonne la partie, contrairement au vert de l’herbe qui continue à jouir de tout, s’abandonne en poète. Chaque feuille a son rythme. Certaines s’attardent, d’autres se font dorées, d’autres jaunes, d’autres rousses. Chacune exprime sa personnalité, sa promptitude à voler vers d’autres vies ou son attachement à ce ciel-là, à cette sève-là qui lui donne, encore, sa couleur de bijou.
Au pied des arbres, le vert éternel chuchote aux papillons qui se posent délicatement sur son ventre, ultime jouissance dans la douceur d’un contact chuchoté, qu’il y aura une autre saison tout aussi belle que celle qu’ils ont connue.
Le vert garde la mémoire de tout ce qui puissant, joyeux, radieux, intense.
Et puis, comment expliquer cela ?
Quand je regarde ce vert, il va jusqu’à mon âme.
Le paradis, c’est Lui.