Récit du prince Lou.
Quand j’étais petit, j’avais peur de la mort qui avait pris mon père. Et un soir, comme je le confiais honteusement à ma mère :
-Où est mon père, maman ? La mort, ce mot qui nous sépare, me fait peur.
Et elle, riant et me caressant, me dit :
-N’aie jamais peur ! Quelle folie, mon doux prince orchidée ! Lou, mon amour ! L’autre jour, n’étais-tu pas heureux quand sont venus à la cour ces voyageurs qui venaient des déserts de l’Ouest ? Ces terres immenses que nous ne connaissons que par leurs récits et les beautés qu’ils en ramènent ? N’as-tu pas été ébloui quand ils ont découvert, enveloppés d’étoffes de soie, des bijoux, des armes, des vases aux contours d’une telle pureté que tous restaient ébahis de cette nouvelle perfection ? Hé bien vois-tu la mort n’est rien d’autre. Sur cette terre nous sommes des voyageurs en quête de beauté. Lorsque la mort nous prend, peut-être parce que nos yeux sont usés et inutiles, elle nous conduit au temple de toute mémoire, sur l’étoile aux falaises de givre et aux nuages d’or. Le givre est la glace qui préserve. L’or, le métal que rien n’altère. Ne crois pas que la mort soit triste. Ce jour-là, accueillis par nos devanciers, nous les éblouissons, ouvrant nos cœurs et nos mémoires, leur offrant la beauté que nous avons cueillie jour après jour. Car il n’y a aucune autre raison à notre vie. Cette joie dont tu as fait ton trésor, toi, retrouvant tous ceux que tu aimes, tous ces glorieux prédécesseurs qui eux aussi ont gravé d’or la mémoire des siècles, tu la lies à toutes les autres pour que toutes les autres puissent la lire et l’aimer. Comment pourrais-tu avoir peur ? Qui pourrait te vouloir du mal ? Tu es tellement précieux, toi, comme tous, messager des images éternelles.
Le mal est l’illusion d’une seconde.
Et la beauté l’éternité de toute vie.