PARKING
Il y a une vingtaine d’années, dans les tréfonds du parking de la gare St Charles, cherchant à payer mon écot, je me heurtai à la mauvaise volonté d’un distributeur « automatique » ! Devant le récalcitrant, un inconnu partage avec moi un sain agacement. Des soupirs, puis quelques mots puis quelques regards qui prouvent que le désarroi technique peut être agrémenté de pensées humaines. (Pas mal, le mec.) Là-dessus, je retourne vers ma voiture. Je m’assieds. Je le regarde. Il est devant sa voiture. Il a la clef à la main. Il ne bouge pas. Il me regarde. Je le regarde. (Politesse oblige.) On se regarde. Je suis assise au volant. Il est debout devant sa Mercèdes. (Je rigole.) Il ne bouge pas. (Ô Temps suspends ton vol…) Je le regarde encore. Tout dépend de moi. Vais-je démarrer ce qui serait une façon rédhibitoire d’annuler ce miracle de la vie, un distributeur automatique qui ne marche pas ? Et soudain ii vient vers moi. Belle démarche. Vraiment pas mal. (Litote.) Il se penche vers la vitre. Oui, il est assez grand. Et là, que fais-je ? Je baisse la vitre évidemment. Pure politesse. La vitre descend. Électrique, dans un chuchotement de soie. La poésie du progrès. Entre nos deux visages il n’y a que quelques centimètres. Il a les yeux bleu-vert. Ce qui ne gâche rien. Il se penche. Sans craindre la décapitation. Courageux. Il pénètre légèrement dans l’habitacle et soudain dépose sur mes lèvres un baiser. Je le laisse faire. Quelle merveille, ces foutus parcmètres qui ne marchent pas ! Comme je ne suis pas une de ces féministes égarées, je ne vais pas porter plainte pour harcèlement. D’autant plus qu’il griffonne à l’encre violette (non, là, je brode), son numéro de téléphone. Cette invention qui me réconcilie avec les maths. Ce sont des chiffres qui se traduisent par de simples mots : suite et faim !
C’est dans la rue, écrivait André Breton que les plus grands miracles s’inventent !
(J’ai trouvé une excuse culturelle à cette débauche !)