En ces temps de vacances et de paresse, se dire tout à coup, au moment de commencer à éplucher la patate vers midi moins dix, « Et si on allait au restaurant ? », fait partie de ces phrases enchanteresses qui ont aussi le mérite de vous situer parmi les happy few, les VIP, le gratin de la société. (Gardons des métaphores culinaires.)
Car pouvoir aller claquer vingt euros pour un repas qui se digère en trois heures n’est pas donné à tout le monde. Certains vivent avec cette somme pendant une semaine à quatre, à condition de ne pas avoir d’amendes en fouillant les poubelles.
Oui, nous sommes au 21éme siècle. Grande époque. La fin des haricots au propre et au figuré.
Mais hélas, et là, je veux consoler, ceux qui doivent se contenter de rester chez eux avec leur chat, aller au resto n’est pas un si bon trip . Les malheurs commencent alors car rien n’est plus comme avant. Sniff.
En ce qui me concerne, et je me permets cette parenthèse personnelle car beaucoup sont dans mon cas sans le savoir, je suis intolérante au lactose . Je l’ai appris, après une année à visiter tous les médecins de la planète, en confiant mon sort à une magnétiseuse qui m’a dit me voyant entrer dans son salon : « Que prenez-vous le matin au petit déjeuner?
-Du lait avec..
-Oh ! La ! La ! Tout vient de là ! C’est du poison pour vous !
Je dois dire que cette vieille dame en tablier à fleurs qui avait un peu la tremblote et me recevait dans une pièce tapissée de vierges et de saints, n’avait rien pour m’inspirer confiance mais je souffrais tellement avec mes tremblements, mes tachycardies, mes contractures, mes épuisements, mes angoisses , mes bourdonnements que je serais allée à St Jacques de Compostelle en sautant sur un pied (pas en train) si elle me l’avait demandé.
Et de fait, après trois mois sans lait, j’étais toute neuve. Une belle bambina !
Ma première question est donc quand je suis dans un resto : « C’est cuit avec du beurre ou de l’huile ? » ce qui entraîne des réflexions métaphysiques chez le serveur qui me dit d’un air inspiré : « Je vais voir en cuisine. »
Mais cela ne s’arrête pas là car depuis bientôt dix ans, je suis aussi intolérante au gluten !!! (Aux socialistes aussi, mais comme on n’en sert pas encore au restaurant, ça va. Le jambon de Hollande n'est pas encore au menu.) Pour le gluten, c’est un naturopathe qui me l’a annoncé alors que je n’arrivais plus à marcher si ce n’est dans des souffrances à la Frida Kahlo. La médecine me promettait de la cortisone et je ne sais quelles sombres thérapies, je me suis contentée de supprimer le gluten et deux ans après, quand même , je trottinais et je dansais le rock.
Je vais vous en apprendre une bonne : si on lui fiche la paix, le corps se soigne tout seul ! Voilà une mauvaise nouvelle pour Big Pharma !!
Donc seconde question au resto :
-Il n’ y a pas de farine ? Je suis intolérante au gluten.
Très peu de serveurs savent ce qu’est le gluten. Ils ont tout de suite l’air d’un postulant à l’ENA qu’on interroge sur Montaigne.
J’avoue que je suis chiante. Je fais honte à mes copains. Ils ont envie de se baffrer, de boire ,de ne réfléchir à rien et là on est à la cantine de l’hôpital !!
Parfois et souvent, il faut le reconnaître, les serveurs, après un instant d’hébétude, se sentent investis d’une mission divine et veulent absolument m’éviter le malaise ou la mort sous leurs yeux. Ils me font des propositions honnêtes, changent leur menu et se reposent un peu, en discutant de leur rude labeur. « Ah Oui, le gluten ! Ca alors… »
Si je sors avec un mec qui a envie de moi pour dessert, évidemment je fais la fausse. Je ne joue pas les mamies décaties. Je commande une grillade et une salade car il est rare que la salade s’assaisonne avec du beurre. Un grand verre de vin et un café et le tour est joué. J’ai caché la fragilité arachnéenne de mon système digestif. J’évite de parler du Pape et de Mélenchon. Les révélations ce sera pour plus tard.
Donc résumons-nous.
Pour moi sont interdites : les pâtes, les pizzas, les crêpes, les salades avec croutons ou mozza, toute la cuisine au beurre, tous les gratins, tous les fromages, tous les yaourts, toutes les crèmes,toutes les pâtisseries sauf les meringues que personne ne propose. La fameuse salade au chèvre chaud, tintin. Les glaces, niet. Les sorbets non plus car la plupart des glaciers, ultra-libéraux, les gonflent avec du lait pour faire des économies.
Je me concentre alors sur la page « Poissons-viandes ».
Le saumon avait mes faveurs jusqu’au jour où l’on a appris que tous les saumons de l’Atlantique sont irradiés au sous-marin soviétique et ceux du Pacifique à Fukushima daichi. Le poisson méditerrannéen vit dans les égouts de la côte et boit notre pipi aux antibiotiques , le thon , tout clafouti de mercure, est plus dangereux que le requin, la seiche à la plancha, qui me faisait autrefois saliver, sort d’on ne sait quel congélateur, pêchée dans le triangle des Bermudes par des philippins mal payés. Bon.
Voyons la viande.
Pour tout ce qui est porc, je vois cette pauvre truie enfermée couchée sous des arceaux de fer et qui allaitent des petits qui vont être torturés comme elle. Alors les lardons… Ne parlons pas du foie gras et du martyre de ces pauvres bêtes. Pas même du taureau dont la chair est toute marinée à l’angoisse de la mort. Du veau ? Eux, pour garder leur viande blanche on les enferme dans des cercueils de béton. Le poulet aux hormones avant de recevoir le poulet au chlore américain ? Non, bien sûr !
J’aimais bien le steak tartare avec des frites. Mais cette viande crue qui vient de je ne sais quel animal nourri aux OGM, merci.
Généralement après demi-heure d’analyse je commande une petite assiette de frites. Mais non : car avec quelle huile sont cuisinées ces frites ? Est-ce de l’huile à laquelle on a mélangé de l’huile de moteur ?????? (On sait que l’Union Européenne l’autorise jusqu’à un certain niveau qui augmente en cas de nécessité.)
Et je ne parle pas des lasagnes au cheval anémié…
Je commande alors une tisane, en me disant que je limite les dégâts car les tisanes Lipton, vous voyez ce que je veux dire….Et l’eau qui va avec, n’en parlons pas ! Et la bouilloire made in china… !!
Heureusement, une super nouvelle tombe ce matin ! C’est le Monde, le grand journal spécialiste de la cuisine ultra-libérale, le Fauchon des pas-fauchés, qui nous l’apprend.
Un « Frankburger » va être servi à Londres cette semaine !
Nous ne sommes pas du tout étonnés que cette découverte fasse ses premiers pas à Londres qui est la Mecque de la cuisine raffinée !
Mais voyons les détails :
« Le premier burger éprouvette au monde va être servi cette semaine à Londres. Né des recherches du professeur Mark Post, de l'université de Maastricht aux Pays-Bas, ce dernier a été réalisé à partir de viande entièrement créée un laboratoire. Il aura ainsi fallu près de 3 000 lanières de viande issues de cellules souches de vache et 200 pièces de gras animal pour composer les 140 grammes du steak de ce "Frankenburger". D'après le Daily Mail, "la viande crue est grise" et possède "une texture semblable à celle d'un calmar". »
Pour ma part, que le créateur de ce délicieuse bouchée soit issu de Maastricht me pose quand même quelques problèmes de digestion… Quant à la couleur du steak, gris, qui a un goût de calmar, si l’on fait des calmars qui ont un goût de steak, l’honneur de la grande cuisine est sauf ! On avait déjà le fromage synthétique, qu’on sert désormais dans les pizzerias, à quand la fraise synthétique qui a goût de « pas de goût » ? (Ah ! On l’a déjà, excusez-moi !)
(Heureusement que nos députés échappent à ces horreurs et que Santini, Balkany et tutti quanti se sont fait récemment gâter par le lobby du tabac qui les a invités et a payé pour un repas la modique somme de dix mille euros ! http://www.huffingtonpost.fr/2013/06/02/lobby-tabac-festin-parlementaires_n_3375312.html Comme on est content pour eux, ces tronches de cake au gluten !)
Bon. On ne va pas se laisser faire. Il faut créer de petits restos qui ne fassent la cuisine qu’avec des produits locaux. Qu’on soit abonnés à ces restos. Qu’on participe à la cuisine, à la vaisselle, au nettoyage. Un jour au service, un jour à table !
Et là, quand on dirait : « On va au resto, à notre resto », là, ce serait une fête toute simple, la fête des hommes simples qui veulent une vie simple avec des livraisons de soupe nature le soir, toute une vie locale à recréer ! Bien sûr qu’on va le faire !
Bon appétit !