Les traits sonnèrent sur l'épaule du dieu courroucé,
Quand il partit et c'était comme si la nuit marchait.
Se postant à l'écart des nefs, il lança une flèche.
Un sifflement terrible s'échappa de l'arc d'argent.
Il atteignit d'abord les mulets et les chiens rapides.
Puis ce fût les guerriers qu'il frappa de son trait pointu,
Et les bûchers funèbres brûlaient sans fin par centaines.
Neuf jours durant, le dieu lança ses flèches sur l'armée.
Mais le dixième jour Achille assembla tous les preux,
...
Extrait du Chant 1 de l'Illiade dans l'excellente traduction de Frédéric Mugler aux Éditions de la Différence.
Pas de doute, c’est bien une zoonose que décrit le poète.
C’est par une zoonose que débute la tragédie de l’Iliade. La réponse qui est donnée à cette épidémie va diviser profondément le camp des grecs, provoquer la colère d’Achille et l’enchainement fatal qui s’en suivra.
Pourtant chez Homère, l’épidémie elle-même ne durera pas. Sa cause sera vite découverte et le problème sera réglé au cours d’une Assemblée Générale convoquée par Achille. L’armée grecque n’est rien d’autre qu’une bande de brigands libres, au sens de Schiller, tous les problèmes se discutent en Assemblée Générale, chacun s’exprimant ouvertement devant tous. Et si l’on ne s’étripe pas à la fin du débat, c’est grâce à une intervention divine et surtout parce que celui qui est minoritaire peut toujours retirer ses billes et se retirer sous sa tente.
C’est déjà plus compliqué dans la cité de Thebes, décrite par Sophocle dans sa pièce "Oedipe Roi". La cité est aussi frappée par une épidémie qui n’épargne ni les animaux, ni les hommes, ni même les semences. Cette épidémie est aussi envoyée par Apollon parce que la cité est souillée par un crime qui n’a pas été puni, alors que le coupable se trouve dans la ville. Mais à cette date, la cité est une monarchie. Un héros règne à sa tête. Oedipe qui grâce à son courage et sa lucidité l’a débarrassée du Sphinx. Un héros clairvoyant, mais qui ne se connait pas lui-même. Aussi la pièce ne débute pas par une Assemblée Générale mais par l’envoi d’une délégation qui vient supplier le roi de sauver la cité. Et c’est là que tout se complique, car le roi c’est le coupable et il ne veut rien savoir.
Il est frappant que dans l’Iliade, la faute qui provoque la colère du Dieu est aussi causée par les chefs de l’armée et le premier d’entre eux Agamemnon qui a enlevée une jeune femme, fille d’un prêtre d’Apollon
Ta fille, je la garde, jusqu'aux jours de sa vieillesse,
Dans mon palais d'Argos, loin du rivage de ses pères,
pour y tisser la toile et pour y partager ma couche.
On peut tirer beaucoup de plaisir à la lecture de ces anciens textes et le plaisir d’écouter des histoires rend meilleur, mais aussi quelques enseignements.
L’histoire des hommes et des épidémies, bactériennes ou virales est une très vieille histoire. Elle était déjà bien présente dans la tête des auditeurs d’Homère. Ces épidémies sont presque toujours des zoonoses. Dans la riche bibliothèque des publications de l’IHU Méditerranée, on trouve une étude qui tend à prouver qu’au cours du néolithique l’humanité a été victime dans l’Ancien Monde d’une pandémie qui l’a décimée.
Il est bien sûr tentant de mettre la responsabilité de l’épidémie qui nous frappe actuellement sur le dos du capitalisme, de la destruction de l’écosystème, de l’abattage des forêts… C’est un peu raisonner comme au temps d’Homère. Un dieu nous punit pour nos fautes. Ce raisonnement a fait florès pendant des millénaires, mais il n’a pas aidé à lutter contre les épidémies. Il est d’ailleurs remarquable de voir maintenant les prêtres des principales religions restaient discrets sur ce thème. On ne voit pas de grandes processions, on n’entend pas d’appel à la repentance. Pas de prières collectives pour prier Saint Michel de rengainer son sabre meurtrier et supplier Dieu d’apaiser sa colère. Mais attention, le religieux chassé par la porte, revient par la fenêtre. Et cette épidémie, ne nous épargne ni les actes de contrition, ni la dénonciation des boucs émissaires et surtout pas l’invocation au Roi Sauveur.
Aussi, essayons à toute force de rester lucides.
Le capitalisme a assez prouvé sa nocivité, la destruction des écosystèmes et le dérèglement climatique ont des conséquences directes assez graves pour qu’il ne soit pas nécessaire de les rendre responsable de l’apparition de SarsCov2. Depuis que les être humains vivent regroupés dans de grandes agglomérations en s’adonnant à l’élevage d’animaux domestiques, c’est à dire depuis le néolithique, l’humanité est victime régulièrement de zoonoses. Et « le retour dans les arbres » n’est pas une solution. Aussi le problème n'est pas tant de trouver l'origine du virus, que de comprendre pourquoi et comment il fait épidémie.
Dans cette affaire notre première faute, c’est de nous étonner. En ce sens nous sommes punis de notre « ubris ». Nous nous pensions trop modernes, trop développés, trop scientifiques, trop riches pour subir une telle punition. C’est notre arrogance qui transforme la punition en raclée mémorable. Et c’est sans doute pourquoi, l’occident « riche et chrétien » se retrouve en tête de la mortalité et de la désorganisation.
Par contre, si l’histoire des virus nous échappe même si elle recoupe sans cesse la notre, la forme concrète de l’épidémie dépend de la société dans laquelle elle s’insère. Le virus ne fait pas épidémie à lui seul. La mondialisation capitaliste a créé les conditions pour qu’en quelques mois l’épidémie devienne une pandémie. Elle permet au virus, après un premier passage, de se reprogrammer, dans un réservoir animalier ou en un autre point du globe et de revenir plus virulent encore. C’est pourquoi, après une première phase classique à l’hiver 2020, croissance, maximum puis décroissance, nous observons depuis l’automne une courbe en tôle ondulée qui correspond à l’arrivée des différentes vagues de variants. Et on n’en voit pas la fin.
Parce que c’est une autre leçon de l’histoire, les sociétés frappées par une vague épidémique ne changent pas leur mode de fonctionnement, celui là même qui permet à l’épidémie de sévir. A moins qu’elles y soient contraintes par un effondrement. Pourtant, l’épidémie révèlent crûment nos faiblesses et une observation lucide devrait nous pousser à les corriger. D’autant qu’il y a plein de bonnes raisons et pas seulement la covid19, pour réduire le transport aérien, réduire la dimension des mégapoles, consommer local et écologique, lutter contre la pollution atmosphérique, contre l’obésité, le diabète…
Mais rappelez vous le discours de Macron, il y a un an pour annoncer le premier confinement. On allait tout changer, ne pas répéter les mêmes erreurs pour retrouver des jours heureux. Un an après on nous promet toujours le retour aux jours heureux, mais sans rien changer. Entre temps on a commencé à nous seriner qu’il allait falloir vivre avec le virus. Bien sûr, qu’il faut vivre avec les virus, mais pas avec l’épidémie. Sauf que dans la tête de nos dirigeants, il n’est pas question de revenir sur les bases de la mondialisation libérale, pas question de renforcer l’hôpital public, le système scolaire, pas question de renoncer aux cadeaux financiers aux entreprises, ni de s'attaquer aux inégalités sociales, même s’il faut pour cela payer le prix du sang, en même temps…
Il faut donc méditer la leçon de la Grèce Antique. Pour lutter contre l’épidémie rien ne vaut une bonne Assemblée Générale et l’exil du roi. Inutile d'appeler Athèna pour lui épargner la honte et le glaive, si nécessaire.