Malgré son côté allemand de caricature, il ne faudrait pas prendre M. Schaüble pour un imbécile. A la fin de sa vie politique, ayant perdu tout espoir de devenir chancelier, ses déclarations sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont à peu prés sincères. Autant qu'un politicien conservateur peut l'être. C'est le cas de sa dernière esclandre lors d'une conférence à Washington: La France serait contente que quelqu'un force le Parlement, mais c'est difficile, c'est la démocratie. La réaction outragée de Michel Sapin ne fait que confirmer que c'est bien lui et son complice Macron qui sont à l'origine de cette confidence.
Au-delà de cette anecdote, les lecteurs de la presse allemande savent bien que c'est la France et non la Grèce qui constitue le principal souci de la bourgeoisie allemande et celà depuis la déception provoquée par les rodomontades incohérentes et sans lendemain du président Sarkozy. Le cas de la Grèce semblait pouvoir se régler aisément par une politique néo-coloniale imposée par la Troïka et relayée sur place par des élites inconsistantes et corrompues. L'élection de Syriza qui, à la surprise générale, semble prendre son programme au sérieux, prouve que même là les choses ne sont pas simples.
La situation française est d'autant plus irritante qu'aprés le rapide retournement de veste d'Hollande, l'ex-ennemi de la finance, et surtout l'arrivée de Valls à Matignon tout semblait pouvoir aller très vite. Tout, c'est à dire d'abord la dérégulation du marché du travail donc la liquidation du code du travail, la disparition de la fonction publique non régalienne, la privatisation du système de santé, de retraite, d'éducation... bref le programme libéral. Mais même si le PS en la matière fait mieux que l'UMP, ça coince encore trop pour Schaüble et ses mandants. Autrement dit, comme il le déplore dans sa déclaration, la démocratie parlementaire n'est plus adaptée aux exigences réformatrices de l'oligarchie européenne. C'est assez facile à comprendre. Les institutions de l'UE n'ont aucune légitimité et l'avenir qu'elles préparent aux peuples d'Europe en général et au peuple français en particulier n'est qu'une longue descente aux enfers. Dans ces conditions obtenir d'un parlement élu le vote de l'ensemble des mesures exigées nécessite un changement radical de la scène politique. L'élection de Pétain par le parlement de Front Populaire avait pu être imposée par l'irruption des armées allemandes à Paris, mais il y a peu de chances que cette "divine surprise" se reproduise de sitôt. Reste donc à obtenir un changement politique de l'intérieur.
D'où l'intérêt du personnage de Valls. Jouant du menton, ayant fait de la sécurité, de l'autorité et du gros "bon sens" bien beauf, sa marque personnelle, il prétend au rôle de celui qui "force le parlement". D'où sa volonté d'en finir avec "la gauche". Sauf qu'il est encore membre du PS, qu'il ne peut être élu qu'avec les voix qui se portent sur le PS, d'électeurs qui pour la plupart se pensent à gauche et que cette contradiction l'empêche d'avoir un parlement totalement à sa botte. Sur la scène politique française, il y a un deuxième candidat à ce rôle, c'est évidemment Sarkozy. Et on comprend tout de suite que ça va pas le faire. Trop tard. Trop de casserolles, trop d'impopularité, trop d'adversaires dans son propre camp. Même s'il est réélu, ce qui va être difficile, ce sera au prix de multiples compromis. Quant à Juppé, le n-ième sauveur de la droite, il a beau avoir été un jour "droit dans ses bottes", il s'est beaucoup vouté depuis. C'est son charme "à la française" qui fait sa popularité, mais bien trop désuet pour les tâche de l'heure.
A ce point de l'analyse, on comprend que Mme Le Pen pourrait être celui que Schaüble appelle de ses voeux. Si elle renvoie le patriarche au musée, elle aura prouvé qu'elle tient bien ses troupes en main. Elle est capable de faire voter une partie de l'électorat populaire contre ses intérêts et ainsi d'asseoir une majorité inter-classistes pour une politique favorable à l'oligarchie. Il y a fort peu de chances qu'un parlement Bleu Marine prétende amender la politique d'un gouvernement Bleu Marine. Quant à l'opposition, elle pourrait se heurter à de sérieux problèmes de survie. En bref, l'arrivée du FN au pouvoir permettrait d'en finir avec les menus inconvénients de la démocratie parlementaire. Jusqu'ici, ce n'est pas le choix fait par la grande bourgeosie française. Mais ça peut le devenir demain. Et alors tout pourrait aller très vite, si la gauche radicale continue à refuser de jouer son rôle d'alternative politique et sociétale radicale. Il faut prendre au sérieux les déclarations de M. Schaüble.