Marie (1) est restée sans voix, les épaules rentrées, l’âme triste lorsque sa maman a rasé ses cheveux crépus, sur environ un centimètre, sur le pourtour de son front. Un geste pour chasser l’ultime trace d’Afrique chez la créole métisse. Tout s’est passé sans un mot. Dans les îles, sous l’effet du soleil, les cheveux de devant sont souvent plus crépus que ceux de derrière. D’une tempe à l’autre, un arc blanc s’est dessiné sur le cuir chevelu nu de la jeune fille de 15 ans. Bien sûr, la Mauricienne en a eu une double honte. Les regards dans les cours de récréation marquent parfois aussi forts qu’un coup de fouet. Cette histoire intime et tant d’autres échouent la plupart du temps sans bruit dans les archives des âmes et des mémoires sidérées. Depuis la colonisation française et l’esclavage au 18ème siècle, basés sur le code noir inventé par Colbert, qui hiérarchise la valeur de l’être humain en fonction de sa couleur de peau, jusqu’à l’indépendance de l’île en 1968 et même aujourd’hui, la croyance raciste persiste. La sphère la plus intime comme les sphères politique, culturelle , économique sont nourries de ces croyances mensongères. Ces perversions n’ont jamais été déconstruites dans les écoles de la République. « L’État mauricien n’a pas de feuille de route vers l’édification de la nation et de la réconciliation nationale » a dit en 2018, le groupe Affirmative action(2). Les pensées héritées de la croyance dans les castes en Inde ou autre semence de division venue d’autres contrées et l’orgueil renforcent davantage la folle mécanique. Un plan conçu pour dominer.
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Ce samedi 15 avril, excédée par ce racisme insulaire, l’auteure de ces lignes organise avec quelques personnes sensibles à cette cause, une manifestation, de 14 heures à 16 heures, au Trocadéro, pour dire « Non au racisme à l’île Maurice ».
Cette prise de position fait suite à un grave événement. Le mois dernier, des élèves d’un collège d’élites , le collège royal de Curepipe, ont traité les femmes créoles de prostituées dans une chanson raciste. De nombreux témoins indiquent que la ritournelle existe depuis 12 ans au vu et au su du corps enseignant et du chef d’établissement.
Le rapport Vérité et Justice en 2011, celui du comité onusien contre la discrimination raciale en 2018 contiennent des recommandations pour punir les injures racistes et stéréotypes dénigrants. Mais, aucun gouvernement n’a proposé de lois claires à ce sujet. «Le code pénal parle d’incitation à la haine raciale. Il faut la prouver. L’incitation à la haine raciale est une chose. Et les insultes et injures racistes en est une autre. Il faudrait réviser la loi afin de pénaliser les insultes racistes », éclaire Kishore Pertab, avocat mauricien.
"Les créoles sont vulnérables de manière disprotionnée à la pauvreté", remarque le comité onusien sur les discriminations raciales
Le 20 mars, le Département d’état des Etats-Unis dans son rapport sur le respect des droits humains par pays constate que les personnes d’origines africaines continuent à être parmi la classe sociale la plus pauvre à Maurice. Le comité onusien sur la discrimination raciale conseille en 2018: «Les créoles sont vulnérables de manière disproportionnée à la pauvreté et ont un accès limité à l’emploi, au logement, aux soins de santé et à l’éducation. Le comité s’inquiète d’absence de mesures visant spécifiquement leur situation.»
«La source de ce racisme systémique se trouve dans la constitution du pays. Les créoles n’existent pas. On parle de Population générale. Tout a été bien ficelé pour faire perdurer les séquelles de l’esclavage. Depuis, l’Indépendance, quel que soit le parti politique qui remporte les élections, il y a une règle de 36, 16, 9, 1, trente-six hindous, seize populations générales neuf musulmans et un sino-mauricien», explique Me José Moirt, avocat.
Autre dysfonctionnement : le silence sur ces exactions racistes. « Les partis politiques ont peur qu’on les accuse de pratiquer du Hindu bashing. Ils ne veulent pas froisser l’électorat hindou », décrit Harish Chundunsingh, observateur politique de l’Ile. « Dès que l’on prononce le mot créole, c’est comme si l’on dessinait un graffiti sur un grand mur. La communauté hindoue majoritaire se sent agressée», explique le docteur Jimmy Harmon, spécialiste de la construction identitaire et responsable du projet musée intercontinental de l’esclavage à Maurice.
Silence complice
Même les victimes se replient sur elles-mêmes. « On souffre, on souffre trop, on ne veut plus souffrir. Quand on nous insulte, on dit ‘c’est ok, merci’», décrit Dominique Pierre, membre fondateur de Gran Lekol filozofi, un groupe qui milite pour l’éveil des noirs et métisses. L’association African People Voices, créée en début d’année, entend demander une reconnaissance de l’identité africaine dans la constitution: «Nous sommes des natifs africains. Nos ancêtres viennent de l’Afrique et nous avons été pris du grand continent vers un autre pays d’Afrique. Nous sommes toujours en Afrique, donc nous sommes des natifs africains.» L’an prochain des élections générales se tiennent dans l’île. Mais même les nouveaux aspirants candidats, qui entendent changer le système, observent un silence complice lorsqu’il s’agit de dénoncer le crime racial envers les créoles et les noirs. Dans ce paradis de touristes et des bien né.e.s, le mot d’ordre est clair : « Silence, ici, on discrimine. »
1) Le témoin souhaite garder l’anonymat
2) Cf, Discrimination raciale ; affirmative Action prend les autorités à contre-pied, Marie-Annick Savripène, L’Express Maurice, 6 août 2018