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Billet de blog 3 septembre 2025

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Le 10 septembre, miroir trouble d’une société fragmentée

Le 10 septembre ne sera peut-être qu’un feu de paille. Ou bien le signe que nous sommes entrés dans une ère nouvelle : celle de mobilisations fragiles, hybrides, insaisissables, où la rue se dispute aux écrans et où la politique ressemble toujours plus à un mirage.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 10 septembre s’annonce comme une date de mobilisation nationale. Certains y voient déjà une réédition des gilets jaunes, ce soulèvement inédit qui avait bousculé la France en 2018. Mais le parallèle est trompeur. Si le vocabulaire est similaire, si l’appel à « tout bloquer » évoque les ronds-points d’hier, la nature du mouvement a déjà changé.

Les gilets jaunes avaient surgi de nulle part, sans leader, sans organisation, sans idéologie préalable. Ils étaient l’expression brute d’une colère sociale, portée par des retraités, des précaires, des chômeurs, des travailleurs invisibles. Leurs cabanes improvisées et leurs occupations de ronds-points avaient donné corps à une politique concrète, charnelle, décentralisée. Rien de tel aujourd’hui. Le 10 septembre est né sur Telegram, dans une nébuleuse numérique où les colères se croisent, se répondent et se diluent. Avant même d’exister dans la rue, le mouvement a été investi par les appareils politiques et syndicaux, surtout à gauche, au risque d’en perdre son autonomie.

Ce glissement dit beaucoup de l’époque. La contestation n’est plus un surgissement imprévisible, elle devient un objet à capter, à orienter, parfois même à neutraliser. Le slogan « Bloquons tout » exprime une radicalité, mais aussi une incertitude. Que bloquer, dans une société où la production est diffuse, où le travail est éclaté, où la circulation des flux vaut plus que l’usine ? 

La force des gilets jaunes tenait à leur enracinement territorial, à leur capacité d’auto-organisation hors ligne, dans la durée. Le 10 septembre, lui, risque de rester suspendu dans l’air du temps, gonflé par les colères en ligne mais fragilisé par l’absence de lieux, de corps, de permanence. On discute déjà de stratégies, de débouchés électoraux, avant même d’avoir vu le mouvement prendre chair. Comme si la politique classique, par crainte d’être prise de vitesse, préférait devancer pour mieux encadrer.

Et c’est peut-être cela qui interroge : la transformation profonde de notre société. Nous ne contrôlons plus grand-chose. Ni la vitesse des crises, ni l’emballement médiatique, ni la volatilité des colères. Les mouvements surgissent, se déploient, s’évanouissent dans un même flux ininterrompu. Le pouvoir est logistique, la contestation tente de l’être aussi. 

Le 10 septembre ne sera peut-être qu’un feu de paille. Ou bien le signe que nous sommes entrés dans une ère nouvelle : celle de mobilisations fragiles, hybrides, insaisissables, où la rue se dispute aux écrans et où la politique ressemble toujours plus à un mirage.

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