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Billet de blog 18 septembre 2025

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Quand le monde regarde Gaza, le Congo se heurte au silence

Alors que Gaza mobilise l’opinion mondiale, le drame congolais s’enfonce dans l’oubli. Depuis plus de vingt ans, l’est de la RDC est ravagé par un conflit ayant fait plus de six millions de morts. Un bilan effroyable, cent fois supérieur à celui de la Palestine, mais ignoré des médias et des chancelleries.

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Depuis des mois, les réseaux sociaux, les plateaux télévisés et les rues d’Occident résonnent d’un slogan : « Israël commet un génocide à Gaza ». Indignation légitime face aux souffrances des Palestiniens. Mais, pendant ce temps, un autre drame se joue, loin des caméras : l’est de la République Démocratique du Congo est ravagé depuis plus de deux décennies par un conflit sanglant, qui a déjà coûté la vie à plus de six millions de personnes. Soit cent fois plus de morts qu’en Palestine. Pourtant, les cris de douleur congolais n’atteignent pas la même caisse de résonance.

Pas une compétition de souffrances

Il ne s’agit pas d’opposer les douleurs des peuples. Chaque vie perdue compte de la même manière, chaque communauté victime mérite mémoire et solidarité. Mais l’écart de traitement médiatique interroge : pourquoi les souffrances palestiniennes suscitent-elles une mobilisation mondiale, tandis que les Congolais de l’est semblent condamnés à mourir dans l’indifférence ?

Le rôle du Rwanda et l’ombre de Kagame

Derrière le chaos congolais, un acteur revient sans cesse dans les témoignages : le Rwanda. Les groupes rebelles comme le M23 soutenus par Kigali d’après l’ONU, sèment terreur et massacres dans le Nord-Kivu. Officiellement, Paul Kagame, président du Rwanda depuis plus de 20 ans, nie toute responsabilité. Mais pour de nombreux observateurs, il est l’homme clé qui instrumentalise ces violences afin de maintenir une mainmise stratégique et économique sur les minerais de l’est congolais.

On le surnomme désormais le « Netanyahu rwandais » : un dirigeant expérimenté, inamovible, qui se présente comme garant de la sécurité de son peuple, mais dont les actions hors frontières provoquent indignation et accusations de crimes massifs.

L’ombre israélienne derrière le Rwanda

Dans les cercles critiques, on parle souvent de « l’ombre israélienne derrière Kagame ». La proximité entre Kigali et Tel-Aviv n’est pas un secret : visites officielles, coopération agricole et technologique, liens diplomatiques étroits. Au-delà de ces partenariats affichés, beaucoup s’interrogent sur le caractère réel de cette relation. Paul Kagame admire ouvertement la capacité d’Israël à transformer une histoire tragique en force politique. Il apprécie le fait que Netanyahou arrive à imposer ses priorités sécuritaires à la communauté internationale et à maintenir une influence régionale disproportionnée par rapport à sa taille.

De là à penser qu’il s’en inspire pour sa propre politique au Congo, il n’y a qu’un pas. Certains analystes vont plus loin et estiment qu’au mieux, Israël fournit une inspiration méthodologique, au pire une aide concrète, qu’il s’agisse de formation sécuritaire, de technologies de surveillance ou de soutien diplomatique discret. Sans preuves directes, difficile d’affirmer l’ampleur de cette influence, mais le parallèle intrigue : deux États petits par la taille, portés par une mémoire victimaire, qui s’appuient sur un récit de légitimité pour justifier des interventions militaires contestées.

Les voix congolaises montent

Face au silence des chancelleries et à la faible couverture médiatique, des Congolais prennent la parole en ligne. Sur X, certains répondent aux militants pro-Palestine : « Le Rwanda commet un génocide au Congo. » Le message viral partagé ces derniers jours des milliers de fois illustre désormais cette colère : la répétition, martelée, du même message pour forcer les consciences à voir ce qui se déroule au Kivu.

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Une communauté internationale absente

Malgré l’ampleur du drame (plusieurs millions de morts depuis le début du conflit, centaines de milliers de déplacés, crimes de guerre documentés par l’ONU) la communauté internationale reste largement passive. Ni tribunaux internationaux, ni sanctions majeures, ni mobilisations populaires comparables à celles pour Gaza. Les politiques occidentaux sont loin d’exprimer le même engagement pour les Congolais de l’Est que pour les Palestiniens. Kinshasa est laissée seule face à un conflit où les civils paient le prix fort.

La raison du silence : l’opportunisme ?

Un autre facteur explique le silence relatif autour du Congo : l’opportunisme électoral. En Europe occidentale, et particulièrement en France, en Allemagne, en Belgique ou au Royaume-Uni, la question palestinienne s’impose comme un marqueur politique, surtout à gauche. La raison est simple : la Palestine est devenue la cause symbolique du monde musulman, et ces pays comptent chacun plusieurs millions de citoyens de confession ou de culture musulmane (environ 7 à 8 millions rien qu’en France).

Prendre position en faveur de Gaza est donc un acte à la fois moral et électoralement rentable. À l’inverse, la tragédie congolaise n’est portée que par la diaspora congolaise elle-même, sans relais massif dans l’opinion publique. Il n’existe pas de « cause congolaise » capable de structurer un électorat ou d’imposer un agenda politique. Il n’y a pas de grande solidarité africaine ou chrétienne autour du sujet. Résultat : malgré un bilan humain plus lourd et une situation que certains experts jugent comparable, voire pire, en nombre de morts, les violences à l’est du Congo restent reléguées à la marge du débat politique occidental.

Le devoir de mémoire et d’action

Reconnaître la souffrance palestinienne n’empêche pas de voir celle des Congolais. Les deux tragédies ne s’annulent pas, elles appellent au contraire à un même réflexe d’humanité : refuser le silence, dénoncer les violences, exiger des comptes aux responsables.

La question n’est donc pas de comparer, mais de rappeler une évidence : chaque vie compte. Et le silence autour du Congo, après plus de vingt ans de massacres, est devenu insupportable.

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