Ces dernières semaines, plus de 50 magistrat·es, agent·es, personnels de contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes se sont mis en grève. C'est inédit. Après le comité de l'INSEE, cela s'inscrit dans un mouvement de réappropriation du droit à la parole des fonctionnaires.
Venant d'administrations à l'expression plutôt réservée, ces expressions se caractérisent tout d'abord par leur forme particulière.

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Des mots assez solennels. Qui posent des faits. Qui ne ciblent pas nommément les responsables du blocage démocratique. Et une réaffirmation explicite : « Nous ne pas parlons pas au nom de l'institution ».
Ces communiqués n'en restent pas moins très clairs sur le fond. Tout le monde comprend l'analyse : Des manifestations massives et dignes ont été constatées ; le blocage démocratique, notamment du fait du 49-3, appelle à une jonction avec les salarié·es en grève à l'appel de l'intersyndicale. Tout est dit. « C'est pourquoi [...] nous rejoindrons les étudiant·es, fonctionnaires, salarié·es, retraité·es, indépendant·es et citoyen·nes dans les manifestations ».
Bien entendu, les expressions diffèrent selon les groupes mobilisés. Le comité de mobilisation de l'INSEE joue à fond la carte "statistiques" : les éléments d'analyse sont fouillés, sourcés, et donnent un éclairage sur le fond de la réforme des retraites.

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Chez les agents de la Cour et dans les chambres régionales des comptes, le fond de la réforme n'est pas abordé - la crainte de « mélanger les genres » avec la fameuse impartialité des magistrats. L'analyse se centre sur le problème démocratique.
Mais dans les deux cas, on retrouve la même idée forte : « dans cette période critique [...], chaque citoyen·ne a la responsabilité de prendre position et de faire entendre sa voix ».
Cette question de la responsabilité est un vrai renversement pour les fonctionnaires.
D'habitude, la question de la « loyauté » des fonctionnaires est comprise dans un sens unique : l'obéissance à la hiérarchie. Cette obéissance impliquerait un « devoir de réserve » largement surinterprété, empêcherait toute expression publique, a fortiori depuis notre lieu de travail.
Ici, elle est réaffirmée dans le seul sens qui compte : la loyauté à l'intérêt général. L'intérêt général n'est pas réductible à un ordre hiérarchique. Nous sommes fonctionnaires, mais nous sommes également citoyen·nes. En cela aussi nous oblige : nous devons prendre la parole.
Ces expressions ne sont pas les premières ni même les plus nombreuses : elles existent aussi dans les ministères, les collectivités, les hôpitaux... souvent sous forme syndicale. Ce qui est exceptionnel, c'est que ces communiqués viennent d'institutions d'ordinaire très peu mobilisées.

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La tradition d'indépendance de ces "grands" corps a souvent tendance à les placer "au-dessus de la mêlée". Ce n'est plus le cas ici. En se mettant en grève, ces fonctionnaires descendent de leur piédestal et rejoignent le mode d'action de tous les salarié·es. C'est un changement majeur.
Ce changement entraînera-t-il d'autres expressions dans les jours à venir ? « Nous appelons nos collègues fonctionnaires et agents publics à s'exprimer collectivement », précise le collectif d'agents, magistrats et personnels de contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes dans son dernier communiqué. Ce serait en tout cas une bonne nouvelle. Et un changement intéressant pour réaffirmer la profonde cohérence entre le rôle de fonctionnaire et la fonction de citoyen.
Post-Scriptum : pour en savoir plus sur le devoir de réserve, ce qu'il empêche vraiment ou comment il est surinterprété, je ne saurais que trop vous recommander l'excellent "guide du devoir de réserve" du collectif Nos services publics.