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Billet de blog 14 janvier 2022

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Entretien avec Pascal Boulanger à propos de L’intime dense

« Plus question de vivre dans la promiscuité des dieux furieux, ni de stocker tout l’étant pour se prémunir contre le gouffre ». Entretien avec le poète et critique littéraire Pascal Boulanger

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L'écriture de Pascal Boulanger a l'écoute de la vie et du réel, du monde sensible qui nous entoure, fait le pari de penser dans une expérience subjective et poétique son rapport à la métaphysique et à la transcendance, pour mieux travailler le discours dans sa relation au langage et à l’histoire, à la civilisation et au monde. Ne négligeant ni les recherches d'Apollinaire et de Reverdy, ni celles de Lautréamont et de Rimbaud qui le rattachent aux poètes Marcelin Pleynet et Claude Minière, Pascal Boulanger partage avec les œuvres de ses aînés des expériences de vies et d’écritures proches et singulières. L’intime dense, le vingt-sixième livre publié par son auteur, saisit au fil des jours et des nuits ce qui dans le proche et le lointain de la présence et du monde travaillent l’intime de nos vies dans le retrait et la concision du trait. Pour Pascal Boulanger «celui qui écoute parle dans l’imprévisible». Il est celui qui prévoit l’inattendu, ce hors-temps de la parole épiphanique, là où le jaillissement de la beauté et de l’amour se découvre, s’oriente, se spécifie. Où du plus loin au plus proche, dans ce mouvement de la pensée et du cœur transformés par la voix et le poème «esprit & matière sont une même chose quand jour se lève et s’éteint aux doigts souples des vagues.» Le poème transforme et façonne la réalité du monde.

Illustration 1

  Pascal Boulanger  

  L’intime dense

  51 pages, broché
  13 X 20 cm, 10 €

  ISBN : 978-2-84924-637-5 

   Éditions du Cygne

Arnaud Le Vac –  Il y a dans votre poésie un dialogue avec la métaphysique et la transcendance qui fait évènement. Vous aimez rappeler la métaphysique à la théologie. Comme-ci celle-ci, la métaphysique et si l’on veut l’ontologie, n’était pas capable d’assumer pleinement l’histoire sensible de l’individu en tant que personne. Votre lecture d’Hölderlin comme celle de Rimbaud souligne cette crise. Tout comme celle que vous faites dans votre œuvre de Nietzsche. Il semble que l’homme ait du mal à dire et à penser son rapport à la transcendance et au matérialisme que la phénoménologie a tenté en son temps de résoudre sans y parvenir tout à fait? La poésie dans son rapport à l’histoire place le sujet dans la possibilité de faire une expérience singulière de sa présence au monde comme sujet-humain par excellence?

Illustration 2
Pascal Boulanger, Marché de la Poésie. © Pascal Boulanger

Pascal Boulanger – Avant tout, dans ce nouveau recueil qui fait suite à la publication anthologique de ma « Trame », chez Tinbad, j’ai voulu rendre hommage à l’écriture et aussi à la vie d’Hölderlin. Il y a quelques années, en publiant « Jongleur », c’est à Rimbaud que je songeais… Il me semble déterminant de savoir où en est un poète contemporain avec la Bibliothèque, quel lien établit-il avec les lectures, les noms propres, la singularité des voix et que veut dire écrire « avec »… Le dialogue que vous évoquez touche autant à la physique d’un écrivain qu’à sa métaphysique et, en effet, même si je ne suis ni un philosophe ni un théologien, je sais que la poésie pense et que je dois être à la hauteur de cette pensée sensible, existentielle qui engage mon propre horizon. Aussi, on est seul et jamais seul quand on écrit. L’intime dense c’est alors imposé par ma relecture des œuvres d’Hölderlin. Une lecture ou relecture ne s’inscrit pas par hasard, elle est souvent liée aux circonstances. La question très concrète et qui fait actualité pour moi depuis 2 ans est celle du retrait (de ma retraite professionnelle notamment mais pas seulement). Comment Hölderlin (comme Rimbaud mais différemment) a-t-il traversé ce retrait ? Dans quelle impasse de conciliation (entre lui et le monde) s’est-il débattu ? Pourquoi a-t-il buté sur le lien entre les dieux et le Dieu ? Comment penser la folie, la rupture sociale et mentale (et la rupture amoureuse avec Suzette Gontard) ? Autant de questions posées implicitement dans les poèmes de mon recueil et explicitement page 26 où j’expose le drame qui, d’après moi, s’est joué :

Accroc dans l’espace

sortie des traces

tremblement & perte de sens

à vouloir tout concilier :

l’étranger intime & l’ensauvagement des dieux

Christ & Dionysos

Hölderlin & Nietzsche se sont brisés

sur un silence

sous la voûte noire.

Il y a bien un écart plongeant sur un abime entre la démesure dionysiaque et le « Ne me retiens pas » christique… et les poèmes de ce recueil creusent cette question non pas de manière spéculative mais… intime.

Hölderlin ne s’est pas identifié à sa propre représentation, il s’est – comme tous les grands écrivains – exilé de la nuit mercantile, en veillant sur le surgissement épiphanique du temps et en sachant qu’il y a toujours un défaut de présence dans le présent même. D’où l’écart poétique qui fait parole, d’où aussi l’écoulement et le fleurissement infinis et muets des choses vues à travers la fenêtre de l’esprit. Dans les volumes successifs de « L’Europe et la profondeur », Pierre le Coz a creusé cette idée, dès l’invention de la perspective en peinture, d’un éloignement irrémédiable du divin… Le Dieu centre n’est-il pas devenu le Dieu gouffre, celui de la détresse éprouvée par Hölderlin ? Pierre le Coz a raison de préciser que le « Noli me tangere » doit être entendu comme le commandement le plus formel fait par le Christ aux hommes ; il s’agit bien, dans notre rapport au monde, de nous engager dans la profondeur que ce départ du dieu incarné va ouvrir.

Plus question de vivre dans la promiscuité des dieux furieux, ni de stocker tout l’étant pour se prémunir contre le gouffre. À l’inverse, le poème vécu peut s’engager dans l’abîme, dans « le pur insurveillé » (Rilke), dans la gratuité amoureuse. Le trait poétique engage au départ et au silence, au re-trait comme nécessité de notre liberté. N’est-ce pas ce qu’aura traversé le nom dédoublé Hölderlin/Scardanneli, ces deux battants d’une seule et même fenêtre sur le monde gouffre ?

L’intime dense touche aussi à ce rapport paradoxal, de la présence et de l’absence, du trait et du retrait… et à l’amour qui ne peut se réinventer en sachant que, trop près de lui et on étouffe, et trop loin de lui on se languit. Mon recueil se conclut par un « poème pour Alma » : ce don d’amour que m’offre la naissance de ma première petite-fille.  La naissance ici comme un amen illimité.

Signalons la publication de l’Anthologie Trame 1991-2008 :

Illustration 3

Pascal Boulanger

Trame : anthologie 1991-2018, suivie de L’amour là

368 p., relié
format 14×20, 30 €

ISBN : 979-10-96415-15-1

Éditions Tinbad

Ainsi que la publication des deux carnets de Pascal Boulanger : Confiteor (Carnets 2012-2013, Librairie éditions Tituli, 2015) et Jusqu’à présent je suis en chemin (Carnets 2016-2018, Librairie éditions Tituli, 2019).

Arnaud Le Vac

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