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L'année 2025 célèbre l’anniversaire des 80 ans de la promulgation des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, qui ont donné naissance à la Sécurité sociale française. Née des cendres de la guerre et de l'esprit de résistance, la "Sécu" n'est pas une simple administration, mais la traduction concrète d'un idéal : la solidarité nationale pour mettre les français à l'abri des aléas de la vie.
Ce projet audacieux a réalisé l'unification des multiples caisses d'assurances sociales qui existaient auparavant. Il a instauré un système universel, basé sur le principe qu'une partie de la richesse produite par le travail (les cotisations) est redistribuée à ceux qui en ont besoin, selon le principe : « Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. »
Aujourd'hui, cet édifice indispensable protège les Français contre quatre risques majeurs : La maladie (Assurance Maladie) ; La vieillesse (Assurance Vieillesse) ; La famille (Allocations Familiales) ; Les accidents du travail (Risques Professionnels). La cinquième branche, l'Autonomie (pour les personnes âgées ou handicapées), a été créée plus récemment, en 2020.
Sans elle, des millions de citoyens seraient exposés à la précarité face à la maladie ou à la perte d'emploi, faisant de la Sécurité sociale le principal instrument de la justice sociale en France.
Les Pères Fondateurs : entre vision politique et mise en œuvre
Si l'impulsion fondatrice est l'œuvre collective du Conseil National de la Résistance (CNR) en 1944, la concrétisation de cet idéal repose sur les efforts de plusieurs personnalités essentielles, communément appelées les "pères fondateurs".
Pierre Laroque est souvent considéré comme le "père fondateur" technique et administratif de la Sécurité sociale. Juriste et résistant, il a joué un rôle déterminant en tant que Directeur général des assurances sociales au ministère du Travail. C'est lui qui a dirigé la rédaction minutieuse des ordonnances de 1945, posant la structure légale et les mécanismes complexes du nouveau régime.
Le ministre du Travail de l'époque, Alexandre Parodi, fut la figure politique qui signa les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, officialisant la naissance de l'institution.
Cependant, l'homme qui a donné son âme populaire et assuré le déploiement sur le terrain fut Ambroise Croizat. Ouvrier métallurgiste, syndicaliste CGT et militant du Parti communiste français, Croizat est nommé Ministre du Travail et de la Sécurité sociale en novembre 1945. Il est l'artisan politique majeur de sa mise en œuvre rapide et efficace.
Contre de nombreuses réticences, il mobilise le corps militant syndical pour construire et administrer les Caisses dans tout le pays en moins d'un an.
La volonté politique et les principes
Malgré les débats houleux de l'époque, notamment sur le financement et l'administration du nouveau régime, Croizat impose une vision radicale et progressiste.
Contrairement à ceux qui voulaient une gestion étatique, Croizat a fait le choix audacieux de confier la gestion de la Sécurité sociale aux représentants des travailleurs eux-mêmes, via des élections professionnelles.
Il s'est battu pour étendre la couverture à l'ensemble de la population, et non uniquement aux salariés.
Sa philosophie se résume dans cette phrase célèbre : « Il faut que les gens comprennent qu'un acquis social n'est jamais un don, c'est une conquête. »
L'extension à toute la population française (universalité complète) a été progressive et n'a été achevée que des décennies plus tard avec la création de la CMU (Couverture Maladie Universelle, en 2000) sous le gouvernement de Lionel Jospin puis de la PUMa (Protection Universelle Maladie, en 2016) lors du quinquennat de François Hollande.
L'Héritage
Grâce à la détermination de ces bâtisseurs, la France s'est dotée d'un système qui garantit le droit à la santé et à la dignité de la naissance à la mort. Il a jeté les bases des grandes avancées sociales qui ont suivi, notamment la retraite par répartition et le remboursement des soins.
Le 80e anniversaire de la Sécurité sociale est l'occasion de se souvenir que ce bien commun est le fruit d'une lutte politique menée par des hommes comme Ambroise Croizat, Pierre Laroque et Alexandre Parodi, qui ont refusé que la santé et la vieillesse ne soient que l'affaire du marché. Il est un rappel que la solidarité reste un moteur essentiel de la République.
Arnaud MOUILLARD