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Billet de blog 25 août 2025

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« On n'a pas les moyens d'être de droite »

Je me souviens de cette phrase que mon père a dite lorsqu’il m'a parlé de politique la première fois quand j'étais adolescent : « On n'a pas les moyens d'être de droite. » Sept ans après sa disparition, je termine un livre où il est au centre du récit. Voici une partie de celui-ci consacrée à la politique.

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Illustration 1
Jean-Charles Mouillard © Arnaud Mouillard

Je me souviens de cette phrase quand il m'a parlé de politique la première fois quand j'étais adolescent : « On n'a pas les moyens d'être de droite. » Il me dit également qu'il avait toujours mieux vécu quand la gauche était au pouvoir. Une conviction ancrée dans son expérience de vie.

Pour lui, être de droite, c'était ignorer les réalités du labeur. C'était oublier les mains calleuses, les dos courbés dans les champs, la sueur qui perle pour un salaire modeste, chichement gagné. Ce n'était pas une question de morale, mais de survie pure et simple. La droite, c'était pour ceux qui n'avaient pas connu la faim au ventre, qui n'avaient pas eu à se battre pour chaque sou, qui ne dépendaient pas des protections sociales, des congés payés, des acquis arrachés de haute lutte pour ben vivre. Pour lui, fils de paysan, ouvrier, la droite représentait un monde où l'on était seul face aux difficultés, sans filet, sans aide, à la merci des puissants. La gauche, c'était la promesse d'une certaine justice, d'une dignité pour les petites gens. C'était la garantie que l'État ou du moins une certaine forme de société, ne les laisserait pas tomber. Il avait vu les améliorations concrètes dans sa vie, dans celle de ses proches, quand les politiques s'intéressaient aux ouvriers, aux "sans grade".

C'était pour lui une vérité simple, apprise non pas dans les livres, mais dans la chair et le quotidien de l'existence.

Mon père aimait beaucoup l'ancien Premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy, qui avait été tourneur-ajusteur-fraiseur comme lui, un lien indéfectible de classe. Il aurait été certainement fier de savoir que j'ai été candidat remplaçant de Véronique Bérégovoy aux élections législatives de 2022 en Seine-Maritime.

Il avait un certain attachement à François Mitterrand. Je me souviens notamment au soir des vœux de l’année 1994, les derniers de « Tonton », où l’ancien chef de l’État évoqua notamment « les forces de l’esprit » auxquelles il croyait, il me demanda fermement de me taire et d’écouter. Un moment solennel, un testament spirituel.

Il appréciait Mitterrand certainement pour plusieurs raisons. La mise en œuvre du programme de nationalisations pour renforcer le rôle de l’État dans l’économie pouvait être perçue par l’ouvrier qu’il était comme une protection contre les aléas du marché, une garantie de l'emploi et une volonté de maîtriser les grands leviers économiques au service de l'intérêt général, plutôt que des intérêts privés.

Les importantes avancées sociales des gouvernements de gauche sous Mitterrand, comme la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés ou l'augmentation du SMIC, sont des mesures qui ont « changé la vie » de nombreux travailleurs et des classes populaires, renforçant l'idée que la gauche agissait concrètement pour eux, pour leur bien-être, pour mieux vivre.

Mitterrand, par son discours et son origine (même s'il n'était pas lui-même ouvrier), a su certainement incarner à ses yeux une certaine idée de la justice sociale et de la reconnaissance des travailleurs. Pour lui, qui a connu la brique chaude dans le lit, le labeur difficile et les conditions de vie modestes, le fait que le pouvoir s'intéresse à leur sort et cherche à améliorer leur condition était fondamental, une marque de respect.

L'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, après des décennies de domination de la droite, a représenté un immense espoir pour beaucoup de Français issus des milieux populaires. C'était la preuve que le changement était possible et que leurs voix pouvaient enfin être entendues et représentées au plus haut niveau de l'État, une véritable révolution.

Je pense que Mitterrand était pour mon père une figure politique majeur, un orateur puissant, un homme d'État.

Pour lui, il devait incarner une certaine grandeur de la France et une vision à long terme, ce qui pouvait inspirer confiance et respect, surtout pour quelqu'un qui, comme lui, avait une vision pragmatique et ancrée dans le réel.

Son attachement à François Mitterrand s'inscrivait probablement dans une logique de classe et d'expérience vécue, où les politiques de gauche étaient perçues comme les seules capables d'apporter des améliorations tangibles à la vie des ouvriers, de leur assurer une certaine dignité, une reconnaissance et contribuer à changer la vie.

« Prends ta retraite dès que tu peux »

C'était un homme de labeur, un ouvrier qui avait commencé à travailler dès son plus jeune âge, avant même ses 14 ans. C'était un homme qui connaissait la dureté du travail, les corps qui se fatiguent et les douleurs avec la pénibilité du travail pendant plus de 40 ans. Pour lui, le travail n'était pas un choix, mais une nécessité. Il n'avait pas le luxe de la réflexion, ni celui du temps libre. Il a été à la l'usine, à l'atelier, à la chaîne de montage dans les différents lieux où il a travaillé.

Au moment de sa retraite vers 58 ans, j’ai le souvenir de cette phrase « prends ta retraite dès que tu peux ».

Cette phrase n'était pas une simple recommandation, c'était en quelque sorte un testament. Elle reflétait le poids des années de travail, le sacrifice d'une vie, le corps qui crie au secours. Elle portait en elle la souffrance, la fatigue, mais aussi l'espoir que je puisse échapper à ce destin. Il avait vu des amis, des collègues, s'éteindre à petit feu, usés par la tâche. Il en avait vu mourir aussi peu de temps après leur retraite.

En me disant cela, il ne me disait pas de ne pas travailler, il me disait de ne pas faire les mêmes erreurs que lui. Il me disait de me préserver, de vivre, de profiter. Il me disait de ne pas attendre que mon corps me lâche, de ne pas attendre que la vie me file entre les doigts.

Il voulait aussi que je travaille bien à l’école pour avoir un bon métier, si possible qui me plaisse pour gagner ma vie.

Cette phrase, c'est un cadeau, une leçon de vie. C'est l'héritage d'un homme qui a tout donné pour sa famille, pour son travail. Il voulait que j’aie une vie différente de la sienne, une vie plus douce, meilleure. Il voulait que je puisse prendre ma retraite non pas parce que j’avais plus la force de travailler, mais parce que j’avais la chance de pouvoir arrêter. C'est un message d'amour, un message d'espoir, un message qui résonne encore aujourd'hui.

Arnaud MOUILLARD

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