Arnaud Mouillard (avatar)

Arnaud Mouillard

Conseiller Municipal délégué de la Ville d'Yvetot - Responsable de services dans un établissement médico sociale

Abonné·e de Mediapart

35 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 octobre 2025

Arnaud Mouillard (avatar)

Arnaud Mouillard

Conseiller Municipal délégué de la Ville d'Yvetot - Responsable de services dans un établissement médico sociale

Abonné·e de Mediapart

Décoder le discours du pouvoir : Le mythe de la rhétorique des puissants

Les puissants parlent de mérite quand ils héritent, de responsabilité quand ils exploitent, et de liberté quand ils détruisent. Cette formule ne vise pas à décrire la réalité factuelle de tous les acteurs dominants, mais à démanteler la rhétorique qu'ils utilisent pour légitimer leur position et leurs actions.

Arnaud Mouillard (avatar)

Arnaud Mouillard

Conseiller Municipal délégué de la Ville d'Yvetot - Responsable de services dans un établissement médico sociale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les puissants parlent de mérite quand ils héritent, de responsabilité quand ils exploitent, et de liberté quand ils détruisent.

Cette formule ne vise pas à décrire la réalité factuelle de tous les acteurs dominants, mais à démanteler la rhétorique qu'ils utilisent pour légitimer leur position et leurs actions. Elle expose un mécanisme fondamental dans l'étude du pouvoir à savoir l'art de renommer les privilèges en vertus et les abus en nécessités. Cette mécanique fonctionne parce qu'elle flatte notre besoin de croire en un système juste, transformant la résignation en adhésion populaire.

L'héritage travesti en mérite

La méritocratie est l'idée selon laquelle le succès est directement proportionnel à l'effort. Le puissant insiste sur sa vision et son audace, attribuant sa fortune à son seul mérite personnel. Pourtant, sa position de départ est trop souvent le fruit d'un héritage financier. En parlant de mérite, il naturalise un avantage acquis, le transformant en une qualité intrinsèque, et renforce l'idée perverse que ceux qui n'y arrivent pas n'ont simplement pas assez "mérité". Ce glissement de sens invisibilise les privilèges de classe qui structurent les inégalités, justifiant par exemple les bonus massifs de dirigeants même en cas de licenciements.

L'exploitation sous le masque de la responsabilité

Dans le domaine économique comme politique, les "contraintes inéluctables" sont utilisées pour justifier des pratiques dures. Les dirigeants et les gouvernements justifient les salaires bas, les coupes budgétaires, ou les réformes sociales impopulaires par une inéluctable responsabilité de maintenir la compétitivité ou de garantir l'équilibre budgétaire.

Ce discours de "responsabilité" devient un euphémisme pour l'exploitation ou l'austérité. Il déshumanise les choix économiques ou sociaux en les présentant comme des décisions techniques et nécessaires, masquant le fait qu'ils sont avant tout des choix moraux qui maximisent le profit des uns et préservent les intérêts d'une classe au détriment du peuple. Cette responsabilité est invoquée pour diluer la culpabilité des actions néfastes, qu'elles soient d’entreprise ou d’État.

La destruction nommée liberté

Les puissants réclament la liberté d'entreprendre sans entrave, de délocaliser, et de maximiser leurs bénéfices. Toute réglementation, qu'elle soit sociale ou environnementale, est dépeinte comme une attaque contre cette liberté fondamentale.

Cette soif de liberté débridée conduit souvent à la destruction. Destruction écologique (pollution, épuisement des ressources) au nom de l'efficacité, ou destruction sociale (fermeture d'usines, précarité) au nom de la flexibilité. Pour les puissants, la liberté n'est rien d'autre que l'absence de contraintes légales ou éthiques les empêchant d'agir pour leur propre compte, même si cela entraîne des dommages collectifs. Dans le champ politique, elle se traduit parfois par un appel à la "sécurité" justifiant la restriction des libertés civiles.

Le populisme nationaliste : détourner la rhétorique du peuple

Le Rassemblement National, bien que leur rhétorique se réclame du "peuple" et de la "justice sociale", suit une logique sémantique de domination qui maintient les structures réelles du pouvoir. Ce populisme nationaliste excelle à employer les termes mobilisateurs de la critique sociale pour en détourner le sens et la cible.

En détournant la responsabilité vers l'extérieur, le RN instrumentalise le terme de "souveraineté" non pour réaffirmer le véritable pouvoir démocratique, mais pour désigner systématiquement un ennemi extérieur (l'Europe, l'immigration…). Cette manœuvre permet de dédouaner commodément les élites nationales et les structures économiques du pays de leur propre responsabilité dans les crises sociales et les inégalités.

L'appel au "mérite national" ou à la "préférence nationale" ne vise pas à redistribuer réellement les richesses ni à promouvoir l'égalité des chances. Il cherche plutôt à créer une hiérarchie arbitraire au sein des classes populaires. Le mérite n'est plus lié à l'effort social ou à la contribution collective, mais à l'origine ou à l'appartenance identitaire. Cette classification simpliste offre une justification aux inégalités persistantes et détourne l'attention envers les privilèges de classe, pourtant bien réels.

Sous couvert de garantir la "sécurité" et de préserver une "identité nationale", le parti d’extrême droite propose régulièrement des mesures et des lois qui restreignent les libertés individuelles et collectives (liberté de manifester, de circulation, droits des minorités). La rhétorique du danger constant et de la menace sert à masquer une ambition de contrôle social et sémantique, où la véritable liberté est réservée uniquement à ceux qui se conforment à une norme idéologique rigide.

En jouant habilement sur le ressentiment et la simplification, le populisme du RN remplace la rhétorique traditionnelle du capital par celle de l'identité, mais maintient la fonction première du discours de pouvoir qui consiste à désigner des boucs émissaires au lieu de proposer des solutions de fond. C'est une façade de rébellion qui préserve l'ordre établi.

Un appel à la vigilance sémantique

Il est donc impératif de déconstruire le langage du pouvoir et de refuser l'acceptation au premier degré des termes clés comme le mérite, la responsabilité et la liberté. Le contrôle de la narration est une forme de pouvoir aussi essentielle que le contrôle des ressources. Pour une transformation juste, nous devons forger une nouvelle rhétorique où le mérite est réellement accessible et synonyme d'égalité des chances concrète, où la responsabilité est synonyme de redevabilité des puissants envers la communauté et où la liberté est nécessairement associée à l'idée d'une solidarité qui ne nuit jamais au bien commun.

Arnaud MOUILLARD

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.