Grâce à Boris Razon (intervention au Cloitre Saint-Louis à l’initiative du Syndeac), j’ai fait la découverte hier après-midi de quelques concepts qui éclosent dans la démarche philosophique de Byung-Chul Han : transparence, nuées.
Modelées par les nouvelles technologies de la communication, nos sociétés auraient de plus en plus de mal à produire de grands récits collectifs et réagiraient comme des essaims, mobiles, volatiles, en perpétuelle reconfiguration.
Les autorités instituées des démocraties libérales seraient vouées à pratiquer une stratégie de l’esquive face au flux des informations non vérifiées, aux rumeurs érigées en vérités absolues.
Les citoyens contemporains, médusés par cette révolution en cours, privilégieraient désormais les initiatives locales et trouveraient dans les narrations de l’intime une thérapeutique à leurs angoisses existentielles.
A ce titre, le spectacle de Tatiana Vialle que j’accompagne à Avignon dans le Off se révèle d’une troublante actualité.
A la faveur d’une visite nocturne au garde-meuble qui conserve les objets de sa vie, une femme revient sur les conditions de sa rencontre avec celui qui deviendra son beau-père (la multiplication de ces entrepôts nous permettant de jouir d’une pièce en plus à la périphérie de nos villes en disent long sur la flambée des prix de l’immobilier de leurs centres !).
Curieux phénomène, cet homme nous paraît tout de suite familier. Nous le connaissons. Nous l'avons rencontré. Mais où donc ? Son portrait ne cessera de se préciser durant l’heure que dure le spectacle, tout en dessinant en creux celui du père biologique de la narratrice dans un délicat jeu de miroirs et de calques.
Le tour de force de l’écriture de Tatiana Vialle consiste à inscrire radicalement son récit au cœur de son histoire personnelle – elle fut la belle-fille de Jean Carmet – tout en lui donnant une dimension universelle, celle du chagrin, de l’impuissance que nous avons de témoigner de leur vivant de l’amour à ceux qui nous ont construits.
Maud Wyler prête son immense talent à cet impitoyable dévoilement. Son visage d’une incroyable transparence semble réagir au moindre des souvenirs que le récit provoque. Elle passe de la fantaisie à la déchirure au détour d’une phrase.
Le décor minimaliste d’Hélène Kritikos est une métaphore de la mémoire et de la révélation.
A voir au Petit Louvre, 23 rue Saint Agricol jusqu’au 29 juillet.