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Billet de blog 1 février 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Chapitre VII)

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Où le narrateur découvre l'ambiance exaltante du paradis des riches: une sous-préfecture morne et mondialisée.

VII


Kenny Riviera et Eliane Chauveau chantaient ce soir-là aux Pyramides, enfin il n’y avait pas d’ambigüité dans mon rêve bien que les deux fussent recouverts de la tête au pied par une étoffe de molleton bleu électrique, seuls les yeux et la bouche de chaque tête, les seins, le pubis et les fesses d’Eliane apparaissant par des ouvertures pratiquées aux ciseaux dans l’espèce de jogging-bourka qu’ils avaient revêtu. Les danseuses habituelles de la troupe, c’est-à-dire la suceuse du Sussex, l’ondiniste d’Udine, la sodomite des Dolomites auxquelles s’étaient jointes la scatophile de Katowice, la pétasse de Pétaouchnok et la morue de Mauritanie, étaient, elles, en revanche, complètement dénudées et exécutaient une chorégraphie aux positions régulièrement obscènes. Je vis ensuite Cousine descendre en marche arrière le grand escalier de l’Aquatemple remuant du popotin dans son bikini rose jusqu’à ce qu’il lui soit complètement entré dans les fesses. Arrivée en bas, elle entreprit de suivre les autres danseuses dans leurs contorsions quasi-pornographiques et, au moment où chacune, mimant l'usage d'un gigantesque volant en gémissant de plaisir, devait enfourcher un immense levier de vitesse de Land-Rover soulevée par des câbles, je lançai un cri d'effroi. Ce qui me réveilla en sursaut.
Cousine entra dans le salon où j’étais couché, toujours en maillot de bain, sur le grand canapé noir en cuir au design épais et passe-partout. Apparemment, elle m’avait aussi entendu brailler. L’air vague, elle me demanda si j’allais bien puis alluma la télévision par habitude. Il était 9h11 indiquait la chaine d’information continue qui avait envoyé un reporter du côté du panthéon. Pendu à son dôme, on avait retrouvé au petit matin un jeune homme dont on passait un photomaton, mon harangueur de la veille. Il portait un écriteau : « La patrie reconnaissante au Boucher du Vésinet ». Le monsieur propre empâté et goitreux que j’avais aperçu la veille, c’était ça, le boucher du Vésinet. Les conséquences semblaient déjà incalculables sur l’ambiance du quartier latin qui, selon le journaliste, s’était littéralement enflammé et explosa littéralement quand on apprit que ce malheureux étudiant avait été directement pendu à un croc de boucher comme un vulgaire morceau de viande. Je me demandai comment je pourrais maintenant aller relever ma boîte aux lettres rue de Navarre et ce que m’écrirait le juge Kim-Bernay s’il ne voyait aucune réponse à ses missives pendant trois jours.
Cousine voulait d’abord démarrer le plan «arches retrouvées» sans tarder. On verrait ensuite pour l’enquête. Les évènements d’hier nous avaient appris qu’Eliane Chauveau devait baigner avec son comparse Riviera dans pas mal d’autres choses que l’eau saumâtre de l’Aquatemple et il ne serait pas étonnant qu’elle-même l’ait fait kidnapper le jour de ses fiançailles, par jalousie, par peur de ses aveux, pour préserver ses intérêts financiers… un peu de tout ça peut-être.
Après m’avoir refait un look costard-cravate-pompes-italiennes dans la galerie commerciale du rez-de-chaussée, nous prîmes la direction de la première station, l’agence de la Multi-integrated Overseas Wellen-Melon Bank dans le très chic XVIème arrondissement qu’on pouvait encore croire exempt de la fureur des masses revanchardes. Le plan était comme je l’avais prédit, foireux. Car il avait complètement oublié que, si les pauvres et les étudiants s’énervaient, les riches, eux, paniquaient: il y avait foule devant la banque fermée où un employé venait tous les quart d’heures chercher deux ou trois veinards qui retrouveraient avec émotion qui ses lingots, qui son tableau, qui ses joyaux… On nous affirma qu’il n’y aurait pas de rendez-vous possible avant une semaine.
Restaient les établissements du sud de la France : Cousine appela la Very Respectable & Old Fashion Bank of Monaco qui reconnut avoir plutôt des problèmes inverses de remplissage massif. Cependant, toujours vigilante à ses intérêts commerciaux, la banque nous proposa un créneau le lendemain pour vider le coffre, sachant qu’elle pourrait le relouer peut-être cent fois plus cher.
Autre faille de taille du plan « arches retrouvées » : tous les aéroports étant en grève, il fallait avaler les mille bornes dans un tas de ferraille ne dépassant pas les cent à l’heure -mais allègrement les cent décibels à cette vitesse-là. Et comme ceci était sans alternative, il n’y avait plus un rond, je pus admirer sa remarquable résistance et sa pugnacité dans une épreuve du corps et du caractère, le siège du Land Rover consistant en deux plaques de mousse posées sur une armature en métal et l’énorme moteur diesel répandant à l’intérieur de l’habitacle une écœurante odeur d’essence. Pour limiter les frais, on somnola même dans l’engin sur une aire d’autoroute.
Nous arrivâmes à 10h30 à Monaco, purgatoire de la vie trépidante et de la fantaisie où régnait le hiératisme cossu, pesant et inerte de la tyrannie rentière à 15% par an. Nous nous présentâmes sales et parfumés au gas-oil devant la grande porte en bronze encadrée de marbre de la Very Respectable & Old Fashion Bank of Monaco. Le portier, lui-même devenu un zombie de l’optimisation financière bien que probablement non monégasque ou pas très riche, nous toisa avec un profond dégoût, énonça notre nom à l’interphone avec affectation puis nous ouvrit la porte d’un geste plein de componction.

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