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Billet de blog 2 février 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Chapitre VIII)

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Où le narrateur séduit, déçoit, admire le veau d'or et frôle la vérité

VIII


Le coffre contenait un malheureux baise-en-ville à moitié vide – déception –  ce qui ne nous empêcha pas d’aller nous requinquer au Granny Riviera, palace dont le nom nous rendit hilare au premier abord, l’ambiance mouroir un peu moins par la suite. Cousine voulait rendre visite à un autre coffre situé à Cannes en début d’après-midi. En attendant, je raflai les rares journaux disponibles et m’installai sur un lit de jardin au bord de la piscine remplie de vieilles aux seins ronds et aux visages sculptés, mais avec une vue à pic sur la méditerranée resplendissant en contre-bas.
Les émeutes étudiantes devenaient carrément violentes, on commençait à déplorer des morts dans des échauffourées et la police ne pouvait contenir toutes les exactions disait le miroir du chirurgien esthétique. On parlait de faire intervenir l’armée et le discours patriotique de Borislav Lebrun était encore dans tous les commentaires mais ne laissait rien présager de bon. De ce fait, le scandale de la branche immobilière de la General Banking Consolidated passait au second voire au troisième plan – mais qui m’avait dit que les attentats nous feraient regarder ailleurs ? Pourtant, la catastrophe s’annonçait fumante, la banque se retrouvant avec un patrimoine immobilier colossal totalement surévalué par rapport au marché, longtemps masqué par le travail de Destouches, qui avait permis de garantir nombre d’opérations spéculatives extrêmement risquées.
Pendant toute ma lecture, un serveur morne et compassé m’apporta régulièrement des petits billets sur un plateau d’argent avec des numéros et des prix. Je ne me rendis pas immédiatement compte que les mamies au bain me reluquaient comme un gigolpince prenant des poses sur son matelas pour faire monter les enchères. Certaines finissaient même par me regarder de travers, apparemment pas trop ravies que je snobe leurs biftons et leurs implants en silicone. Heureusement, Cousine revint de sa chambre fraîche et bien peignée pour notre nouvelle attaque de banque, le Crédit touristique international de la Côte d’Azur.
On se gara sur la croisette, un peu n’importe comment. La banque s’ouvrait dans une ruelle étroite et sombre et, à sa façade décatie, on pouvait dire que le Crédit Touristique de la Côte d’Azur n’était pas au plus haut (des établissements bancaires). Tant mieux en un sens, car nous étions seuls. Nous descendîmes à la salle des coffres avec le responsable qui introduisit sa clé dans la serrure d’un grand modèle s’alignant sur une constellation de portes d’acier de différentes dimensions. Cousine fit de même. Elle ouvrit le battant. Un empilement de baise-en-ville type « cercle Notre-Dame » nous laissa échapper un long et spontané soupir d’extase. Cousine était hypnotisée. Tremblante, elle s’empara du premier et l’ouvrit avec un geste nerveux. Il était plein jusqu’à ras bord de billets de 100. Elle prit le suivant, idem. Il y en avait treize en tout et tous étaient pleins. Elle se mit à danser et à sautiller autour de la table métallique au centre de la pièce en poussant des petits cris de joie épouvantablement puérils. J’aurais pu en profiter pour lui faire l’amour rageusement, elle ne se serait rendu compte de rien.
Nous sortîmes avec un seul sac, les autres seraient récupérés à notre départ. Je sentis bien qu’elle voulait rester et s’en payer une bonne tranche sur la « coooote quoaaaaa ». Et j’eus brutalement l’impression de ne plus du tout faire partie de ses plans.
« Champ’au M’sieur Ramirez », décréta-t-elle, les yeux exorbités par l’euphorie. On se dirigea donc vers la plage du palace située plus bas sur la croisette. Nous marchions parmi la foule des promeneurs, elle dans l’allégresse et l’insouciance, moi dans la circonspection et l’inquiétude, quand je vis arriver vers nous un sosie de Luigi Thorwald-Brocovic, celui-là, contrairement à l’autre, marchant sur ses deux jambes. Je le regardai longuement, nos yeux se rencontrèrent, puis je fis encore quelques dizaines de pas en analysant ce que je venais de voir : en fonction d’une série de critères non énumérables synthétisés par ce qu’on appelle l’intuition, je conclus définitivement par un « putain ! » que c’était Luigi. Cousine, toute à son ivresse, n’avait bien sûr rien remarqué. Je lui dis de commencer la bouteille sans moi et rebroussai chemin.
Je suivis Luigi à bonne distance. Il prit à droite pour remonter vers le vieux Cannes par des ruelles de moins en moins fréquentées puis des quartiers de plus en plus résidentiels. Je n’arrivai pas à savoir s’il m’avait repéré car jamais il ne se retournait. Je le vis alors entrer dans une petite villa à un étage dont il laissa la porte entrouverte. J’attendis qu’il en ressortît jusqu’à ce que ma patience fût tellement à bout que je m’approchai pour voir ou entendre quelque chose. Le silence et l’immobilité me conduisirent sur le pas de la porte, puis dans la maison déserte, puis dans le salon où le spectacle d’un policier en levrette, mort, le froc baissé avec une matraque profondément enfoncé dans le derrière m’attendait. Je pus lire peint en blanc sur la tapisserie sombre imitation tissus chiné :


« L’EDUQUATEUR SOCIAL VOUS REMERCIT DE VOTRE PASAGE ».


Instantanément je sus que je m’étais fait piéger. Surtout que j’entendis une cacophonie de sirènes s’approchant à grande vitesse me dissuadant de sortir par la rue. La panique monta à la manière d’une crise d’angoisse. Je tentai la porte de derrière, verrouillée. Toutes les fenêtres du rez-de-chaussée avaient des barreaux. Je montai à l’étage et trouvai un balcon donnant sur l’arrière à partir duquel je pouvais atteindre une grosse branche d’olivier. J’entendais déjà les voitures s’arrêter devant la maison en faisant crisser leurs pneus, les portières claquer et une foule de policiers envahir la maison. Je me retrouvai accroché à l’arbre en déchirant ma veste, puis sautai à terre pour courir vers le fond du jardin où je pus escalader un petit mur en béton et me retrouver chez un voisin, heureusement absent. Je marchai en tremblant jusqu’à un arrêt de bus. Qui m’emmena loin, loin de là.

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