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Billet de blog 3 février 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Chapitre IX)

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Où le narrateur marine dans du jus de cauchemar.

IX


Il y avait une grande soirée dans la salle de réception du Granny Riviera. Autour de la Présidente Monica Lebrun, ancien mannequin, un aréopage de femmes d’élite s’était réuni pour l’assemblée générale de la Section Féminine des Fossoyeurs De la Vie au Profit de Son Cul (la SFFVPSC). Elles étaient curieusement toutes en maillot de bain, les clientes du Granny avec leurs gros nichons tout ronds, Madame de la Moissoinière qui avait posé en couverture de parachute hebdo, la rombière du cercle Notre-Dame dans un monokini des années 50, Scarlett de la fontaine de Neptune, Svétlana de Mykheirinos, topless, Cousine, toujours dans son petit bikini en polyamide rose, toutes sauf Eliane Chauveau habillée d’un survêtement en molleton bleu électrique aux formes imprécises. On était au dessert où on servait une tête d’étudiant gauchiste fourrée à la crème et aux fraises. Monica Lebrun se leva puis leva sa flûte à champagne, les autres l’imitèrent. Sur l’air du refrain d’« Alexandrie, Alexandra » elles entonnèrent, en remuant du bassin en cadence : « Plein d’artiche… pour nos miches, des fafiots pour notre a-bricot o-o, deeee l’osier pour no-treu panier et des biftons pour nos nichons en silicooooo-neu ». A ce moment-là, Luigi entra dans la salle avec l’éduquateur social une matraque à la main et ils commencèrent à l’enfoncer dans le fion de Svétlana qui cria « 14598 ». Puis ils passèrent aux vioques du Granny qui reprochaient aux matraques de n’être pas assez vibrantes ni assez grosses pour leur anus artificiel, puis la rombière du club Notre-Dame qui sortit en faisant des manières un nécessaire à cirage Gucci de son sac Givenchy. Je mis un pain à Luigi avant qu’il ne s’en prît à Cousine et c’est en pleine bagarre que je me réveillai noyé de sueur dans mon petit lit de motel minable au bord de la nationale.
Il pouvait être 10h. La soirée avait été terrible, j’avais erré mort de peur dans la banlieue cannoise jusqu’à cet hôtel de VRP puis appelé d'une cabine le bar du Ramirez pour prévenir Cousine du danger imminent. Elle était saoule, il y avait du monde autour d’elle, j’imaginai une section de GI-Ken modèle fils-à-papa de retour d’un stage commando tennis à Ibiza… Enfin, en pleine euphorie, je ne donnai pas cher de sa peau. J’eus la lâcheté de ne pas aller la chercher de force -face à l’épouvantable puissance de Luigi, j’étais complètement démuni.
J’appelai le Granny, la chambre était vide, je laissai un message. J’appelai le Ramirez, aucune chambre au nom de Cousine. Je décidai de reprendre le car et de remonter à Paris. Avant cela, j’achetai des vêtements neufs et un bonnet dans une grande surface, me rasai la moustache, puis allai faire un dernier tour du côté du Ramirez, au cas où.
Je m’assis sur un banc de la croisette à proximité de l’hôtel, en tentant toujours de bien vérifier que personne ne m’avait repéré, sans trop de conviction cependant. J’attendis si longtemps que je dus courir à la gare routière pour ne pas rater le départ du car. Voyage long et pénible, gagné par l’impression désespérante d’être en sursis, d’être intérieurement déjà un cadavre. Et cela m’empêchait de réfléchir sereinement aux liens enchevêtrés d’un Thorwald-Brocovic avec un Prouff, un Riviera, avec un Beauvillain, un Destouches, une Chauveau, un la Moissonière, un éduquateur social, un JR… qui devaient pourtant avoir un sens.
Je lus sur le journal de mon voisin que le policier trouvé mort dans la villa était un commandant de la brigade municipale de Cannes. Il avait été torturé (sans autres précisions) avant d’être étranglé. Plus bas dans l’article, on donnait la description d’un homme me ressemblant, un témoin m’ayant vu peu après la découverte du corps errer dans le quartier avec mon costard déchiré jusqu’à l’arrêt de bus « Cythère ». J’étais peut-être bon pour un nouveau tour de manège, cette fois dans le genre « trader de la mort » ou « Immonde de la finance ».
J’étais surtout épouvanté par l’incroyable habileté cruelle tout en sadisme et en perversion de Luigi, capable de me manipuler à loisir, que je le prisse pour un handicapé moteur solitaire ou un flic malchanceux frappé par le destin, sans arriver à mesurer où s’arrêtait son influence dans les évènements des dernières semaines. Pourquoi avait-il témoigné en ma faveur dans l’affaire Destouches ? Il pouvait m’enfoncer. Pourquoi m’avait-il laissé en vie avec tant d’occasions de me tuer, comme hier encore, où il préféra au contraire m’épargner pour me jeter dans la gueule du loup ? Je finis par me persuader que rien de ce qui m’était arrivé ne lui était étranger, qu’il était la fatalité incarnée dans un être duplice, insaisissable et absolument imbattable au scrabble.
Le car ne put s’arrêter gare de Lyon, certaines rues de Paris étant obstruées par des barricades. Comme il était déjà tard, je pris une chambre au foirOtel automatique de Rosny-sous-bois.

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