La mécanique miraculeuse de la Vème République, celle du Grand Homme qui sauva deux fois la France de ses systèmes politiques parlementaires décadents et impuissants, est-elle infaillible et éternelle, immuable comme ses cacochymes et indéboulonnables parangons le prétendent ?
Ben non. Evidemment. La Vème est née d’une désertion et d’un viol, en cela elle est bonapartiste.
Elle est dans la lignée du Directoire démissionnaire, de l’assemblée du Parti de l’Ordre et de celle de la débâcle. Pouvoir vermoulu s’effondrant sur une pichenette.
L’arrogance des défenseurs de la Vème n’a jamais tenu qu’à la stature historique de son créateur, de Gaulle. Les vertus de sa constitution n’ont jamais procédé que de lui, le césarisme inquiétant de ses institutions fut tempéré par la seule confiance qu’on pouvait accorder au restaurateur de la démocratie.
Et tout a continué parce qu’il est resté, après sa mort, des traces visibles de son influence sur tous ceux qui l’avaient connu, élu ou combattu, le peuple français en premier.
Sarkozy a achevé le gaullisme, malade du chiraquisme. Il a rendu à la droite réactionnaire, sous tutelle depuis cinquante ans, son autonomie et sa fierté. Elle ne vivait aucun « complexe », elle vivait sous surveillance après ses errements des années 40 et ses soubresauts des années 50/60. De Gaulle l’a matée deux fois et elle a dû vivre pendant toutes ces années dans les meubles du gaullisme, d’un style curieux mélangeant la tradition vieillotte et les fulgurances socialisantes, le modernisme et la tempérance, l’ordre moral et le libéralisme… Les plus fanatiques se réfugièrent dans les caves et les alcôves des nostalgiques des grandes dictatures.
Et voilà que le messie sarkozy vint…Lavant les fautes de l’antisémitisme par la stigmatisation des musulmans, redorant la colonisation, révérant l’ordre social, dégageant de toute tempérance gaullienne l’égoïsme profond des dominants …
J’ai vécu pendant cinq ans dans l’angoisse du lendemain…La vie politique nationale fut dominée par un seul homme, décidant de tout, du programme télé jusqu’aux nominations de chefs d’entreprise et des hauts fonctionnaires, élaborant les lois, dépannant ses amis. J’ai eu peur parce que je n’avais pas confiance, pas du tout confiance. Les enquêtes de Mediapart ont fini par matérialiser ce doute confus.
Nicolas Sarkozy est un réactionnaire, les réactionnaires ont un rapport conflictuel avec la démocratie depuis la première république, c’est même là leur définition. Même si, dans le contexte actuel, aucun de ses actes ne peut laisser supposer de quelconques velleités anti-démocratiques, la forme et le fond des institutions de la Vème laissent beaucoup trop d’opportunités pour que nous laissions dorénavant cette bombe institutionnelle au premier ou plutôt au deuxième réactionnaire venu…
Car le réactionnaire Sarkozy n’a fait que moderniser les réactionnaires en exil au front national. Certes, confits dans leur passé anticommuniste, antisémite, fascisant et colonialiste, ils sont longtemps passés pour du mauvais folklore, incapables de s’abstraire de leurs défaites idéologiques cuisantes et répétées. Il leur fallait une crise pour exister, un Sarkozy pour leur redonner du lustre et les affranchir de la pesante tutelle gaullienne, une Marine Le Pen pour leur tracer un avenir dépassant les fantômes du passé.
La droite va se recomposer sur la ruine du sarkozysme, qui n’aura été que le moment d’achèvement du gaullisme. La droite va retrouver sa forme d’avant-guerre, et nous allons garder, avec une telle menace, des institutions dangereuses dont la seule garantie morale aura été périmée par les mots du futur-ex président, par ses actes délictueux, bien plus encore que par ceux du chiraquisme ou du mitterandisme.
Hollande et son côté bonhomme ne doivent pas nous faire oublier qu’il y aura un après. Sa responsabilité sera de préparer les lendemains périlleux, qui arriveront quoiqu’on dise, puisque la droite réactionnaire libérée n’aura maintenant de cesse de nous conduire là où elle a toujours voulu aller : à l’ordre autoritaire intégral.