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Billet de blog 6 février 2012

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Mort d'un propagandiste cool

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il a fait de la pub un art. Il a réussi à faire confondre le rien avec le tout, le désir avec l’amour. Des générations éduquées de traviole dans l’inversion des valeurs jusqu’à se prostituer gaiement pour un sac vuitton.
Aucune douleur, aucune contrainte que celle du désir. Le DE-SIR, merde, c’est beau, c’est chaud, c’est doux….Rien à voir avec les affiches en contre-plongée des fils  du nouvel ordre, la gueule taillée à la règle dans un noir et blanc saisissant. Non ! Ringard, « anti-communicationnel ».
Mais laissez-moi vous compter à ma façon comment tout cela est arrivé.


Ils partirent la libido en bandoulière à la conquête du Désir. Un vieux barbon marxo-freudien leur avait monté le bourrichon. Cette buse de docteur Marcuse faisait la révolution par les mœurs —je suis sûr que c’était pour regarder par le trou de la serrure. Et elle s’est arrêtée là. « Satisfaction des désirs narcissiques infantiles, tout le  monde descend ! ». Et la gare c’était quoi ? Le Pays des Jouets, putain !
Trop tard. Les années 70 ont-elles été l’été des tétés entêtants ? Comme révolution, il y a eu la pub, qui laissera ses traces indélébiles dans l’histoire. Finie la réclame braillarde des marchandes de poisson. Des mamans sensuelles susurrent en souriant des slogans "so glossy". Des papas pas finis partagent en papotant des portions de papaye. Des bébés babillant biberonnent éberlués des bonbonnes de bon lait. Des chiens étincelants. Des singes einsteiniens. Lacaniens, tiens. Et au Pays des Jouets, tout le monde devint chèvre. A part les moutons déjà là. Et les ânes qui aimaient commander.
Des groupuscules crépusculaires : forcer le destin, arrêter le raz-de-marée avec les mains, fuir avec les flingues du grand frère.
Dans les années 80, il n’y avait plus qu’à remettre la ménagerie au boulot. Ça a été le cirque du coucher de soleil de l’idéal égalitaire. Tout seul faire son numéro. Même quand l’avion se pose jamais sur la piste, à gare du nord ou à Cergy. Le Désir triomphait plus que jamais. Certes, il ressemblait à une pute à 1000 balles et le monde à un peep-show mais quoi, le Désir était bien là, protégé derrière sa vitrine, une relique marchande avec son étiquette chiffrée et ses aumôniers avenant ânonnant ad libitum l’évangile selon paic citron. Le Désir, non ?
Et quelles images ! Des poses de centaines de minutes dans l’artifice sordide d’une urbanité de pacotille —quand l’art s’éprend d’esthétique publicitaire, il se prostitue contre aucune promesse.
Et après, ça a juste été pire, sauf qu’on se croyait habitués. Un pli dans le cerveau comme sur un pantalon qu’il faut toujours bien repasser au même endroit pour éviter d’avoir l’air plouc. King Desire avait terrassé le conformisme petit-bourgeois dans une épique guérilla d’un siècle, il régnait débonnaire sur nos libertés d’assouvir, et nous assouvissions tous à une cadence soutenue. L’assouvissement des cons était toujours plus voyant, plus aveuglant, peut-être aussi l’assouvissement réussissait-il mieux  aux cons. Et le con fut icone.
Les cons firent héros sur grand écran. Ils firent de nombreux présidents et le font encore.
Une légende affirmant que King Desire est un prince de monaco régnant la bite à l’air en son palais ressemblant à un hôtel-restaurant de sous-préfecture est fausse et ignominieuse. King Desire terrassa Petit-Bourgeois Le Réac’ dans une lutte épique, cheveux longs contre raie au milieu, harmonica contre accordéon, nouveau roman contre écrivains. Puis King Desire eut un coup de mou et épousa le confort, de cette union naquit Bobo, l’enfant difficile. Jamais Bobo n’accepta qu’un de ses géniteurs eût deux syllabes de conformisme : Bobo se rêve rebelle, Bobo aime la provocation vaine et les saltimbanques abstrus. Abstraits comme lui de bien des réalités.
Mais Petit-bourgeois le Réac’ n’était pas mort. Il était juste borgne. Et il habitait le Vésinet ou pas loin. Comme ce qui ne tue pas rend plus fort, Petit-Bourgeois le Réac ressuscita avec le physique d’un ancien commando parachutiste puis, suivant les tendances, se multiplia en autant de courants : femme, sinistre technocrate, roitelet de côte azurée…
King Desire s’en accommoda, maintenant qu’il était au top, il ne se fâcherait plus avec personne. Et on avait le droit de désirer mettre les gens dehors, après tout. Rien ne devait entraver le désir, il était à tous comme une valeur supérieure, une valeur sacrée.


Je ne vous raconterai pas comment King Desire fut découpé en tranches, car je l’ignore encore moi-même. En tout cas, ayons ici une dernière pensée pour un de ses plus fidèles serviteurs télévisés, M. Blachas C.

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