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Billet de blog 7 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (chapitre XIV)

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Où le narrateur, méditatif, devient supplétif.

XIV

Une nuit de plus sans rêve et sans sommeil. On me fit remonter dans le bocal pour une autre journée pleine d’ennui et de brame, le ventre à moitié vide, bien que je crusse dur comme fer que ce fût la dernière.

Quelles ne furent pas ma surprise et ma joie de voir passer en milieu de matinée mon ami Clébard-le-paon-de-Tocardville, bien encadré par deux inspecteurs. Il n’avait pas l’air très frais non plus, l’échine courbée et le costard chiffonné donnant l’impression qu’il n’était pas sur une pente follement ascendante. Le Kléber semblait vraiment sur la jante, pouffai-je en moi-même.

Etait-il interpellé, seulement témoin ? La police l’avait-elle relié à la série de meurtres ? Pouvais-je aller aux toilettes ? Oui, ce qui me fit une petite virée de 15 mètres dans les couloirs de la PJ avant un retour fatal à mon bout de plastique moulé. Enfin, on vint me chercher et je me retrouvai une nouvelle fois chez le grand patron.

–J’ai lu votre déposition, celle de Luigi Thorwald-Brocovic et celle d’André N’Kono-Vassiliev. J’ai récupéré les analyses du labo. Votre présence sur les lieux du crime ainsi que votre attitude étaient assez inexplicables, non ? Nous n’avons jamais cru à votre culpabilité, et tous les témoignages et les éléments matériels le prouvent. Mais il y a quelque chose qui vous relie à ce meurtre.

–Mais quoi, Monsieur le Commissaire ? répondis-je badin, à part le hasard.

Il me fixa froidement avec ses yeux globuleux :

–il a bon dos, le hasard. Passe encore pour les tickets à gratter ou le loto…

Où va-t-il chercher tout ça ? pensai-je.

–Sachez que nous avons eu la visite d’un couple hier matin, les…, il regarda sur un dossier,… Conte-Merignac. Ils ont témoigné spontanément, et je dois dire que toutes leurs déclarations ne sont pas systématiquement en votre faveur…

Je n’étais qu’à moitié surpris. Sam et Pierrette venant baver sur moi à la PJ, c’était tout à fait dans le style de leur histoire pathétique : après une adolescence enivrée par la victoire du Viêt-Cong et l’avènement du Kampuchéa démocratique puis largement dégrisée par l’invasion du second par le premier, Sam et Pierrette s’étaient ralliés dès les années 83 à l’idéologie ultra-libérale dominante –la révolution prolétarienne ne présentant plus de perspectives concrètes à court terme dans le monde occidental– ce qui leur avait à nouveau permis de donner des leçons à tout le monde (preuve d’une belle constance dans la prétention et l’imbécilité).

Je dessinai une moue méprisante et appuyée à l’évocation de leur nom, et je vis Grau cligner des yeux en une sorte d’approbation tacite.

–Beaucoup plus intéressant, ils ont évoqué un autre personnage qui me semble détenir une place pour le moins centrale dans ces deux meurtres et que vous devez connaître : Kléber Beauvillain, le fiancé de votre cousine.

J’osai le corriger et dire « trois ».

Il me regarda en esquissant un sourire de satisfaction.

–Oui, trois, comme le n°de trou du drapeau. Vous venez de me démontrer tout l’intérêt que vous portez à ces meurtres. Maintenant, aurez-vous l’amabilité de me dire pourquoi ? (en appuyant sur le « pourquoi »).

Le savais-je bien moi-même. Il faudrait peut-être bien une psychanalyse approfondie de plusieurs années pour expliquer ma capacité à me perdre dans ce dédale infernal conçu par des forces maléfiques et surpuissantes où je suivais mollement des morceaux de fil incohérents laissés par Cousine avant de m’y laisser mourir de désespoir comme un héros kafkaïen.

Je fus plus concis et en même temps évasif :

–Allez savoir.

Il reprit :

–Je n’ai pas de doute sur la pureté de vos intentions et je sais que je peux compter sur vous pour me rendre un petit service.

De nouveau le fardeau de la fatalité s’abattait sur mes épaules. Je m’attendais au pire mais pas à ça :

–Aidez moi à retrouver la trace de Kléber Beauvillain me dit-il tout en me tendant sa carte de visite.

Je fus tellement stupéfait que j’en restai coi. Je devais retrouver une personne que j’avais vu passer une heure auparavant dans un couloir à moins de 20 mètres de là encadrée par deux inspecteurs. Peut-être la fatigue m’avait-elle fait confondre ? En tout cas, je décidai de ne rien dire pour sortir au plus vite de ce guêpier.

–Je ferai mon possible commissaire dis-je en prenant sa carte de visite.

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