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Billet de blog 10 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (chapitre XVIII)

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Où les retrouvailles ne riment pas forcément avec boustifaille.

XVIII

Cousine n’allait pas trop bien. C’est en substance ce qu’elle me disait avec son écriture d’adolescente aux grosses lettres rondes penchant légèrement à gauche. Elle s’inquiétait pour moi car elle avait vu les reportages à la télé me concernant mais semblait surtout affectée par la mort de Destouches qui, ô coïncidence, fricotait aussi avec Clébard-le-paon. Apparemment, elle avait perdu la trace de son prince-méchant et voulait absolument qu’on se voit au plus tôt, « dès que tu seras sorti, car je sais bien que tu es innocent. » Elle m’exhortait à brouiller les pistes pour éviter d’être suivi et me donnait rendez-vous à un endroit au nom codé que je mis un certain temps à décrypter, car il nécessitait de remonter assez loin dans nos souvenirs communs.
Je suivis ses instructions. Je pris un autobus qui s’arrêta devant les Galeries Laffaillotte y entrai, montai jusqu’au rayon des marques has-been et, constatant que j’étais seul, empruntai un ascenseur pour descendre et sortir par l’autre côté du magasin.
J’arrivai à l’adresse convenue après une heure et demie de marche. Je tapai le code indiqué dans la missive et entrai par la porte cochère jusqu’aux boîtes à lettres. Sur l’une d’entre elles je lis « Tâ kouzin, 15-18H, Kitz ». Il ne fallait pas manquer de motivation pour continuer à suivre ce jeu de piste ridicule créé dans un délire paranoïde proche du sadisme et accepter de retraverser tout Paris dans l’autre sens.
Enfin, j’entrai dans le salon de thé à l’ambiance hyper guindée aux alentours de 16h30. Je regardai alentour et vis ma chère cousine installée à un angle dans un fauteuil profond en train de siroter un cocktail de fruit et de lire le dernier numéro de « Marie-Salope » avec un reportage exceptionnel sur le désenvasement du delta du Mékong. J’étais furieux. J’entamai brutalement la conversation, elle ferma son « Marie-couche-toi-là » (avec un reportage unique sur les prostituées du Guilvinec), le posa sur la table basse et me chuchota un sensuel « bonjour, je suis contente que tu sois sorti ». Elle posa ensuite son index sur ma bouche, appela le garçon, signa la note et nous sortîmes vers le hall de l’hôtel.
Nous échappâmes de peu aux dégoulinements de marbre, de dorures et de cristal du lobby et montâmes directement dans sa chambre, dans le plus pur style princesse barbie, à la différence que tout ce qui semblait en plastique ne l’était pas.
–J’ai perdu la trace de Kleber me dit-elle abruptement.
–Mais heureusement, pas de son compte en banque répliquai-je, mordant.
Puis, pour me rendre intéressant je lui laissai entendre que moi, je l’avais vu pas plus tard qu’hier son vilain Clébard.
Elle fut incrédule. Je décidai d’ajouter la fourniture de cette information à la liste de mes récriminations, histoire que tout cela pèse d’un bon poids dans la négociation de mon indemnisation. Et de déblatérer mon plaidoyer. Et elle de prendre un air contrit. (Il y avait toujours quelque chose de désarmant quand elle jouait la coupable). Après de longues minutes de palabres, elle finit par sortir un carnet de chèque de sa robe hyper-moulante, comme par magie. N’ayant pas de compte en banque, elle prit sa moue embarrassée puis me fit sortir dans le couloir pour me rappeler cinq minutes plus tard : elle avait dans sa main gauche de quoi me faire vivre au moins deux bons mois qu’elle me glissa de bon cœur dans la main droite.
–Je l’ai vu hier matin vers 10h encadré par deux flics dans les couloirs de la PJ dis-je.
–Le con ! s’exclama-t-elle, il n’a pas pu me faire ça.
Où je commençai à comprendre qu’elle était, elle aussi, dans une mouise épaisse voire compacte. Puis elle me lâcha qu’elle se doutait que Clébard était mêlé à un scandale inouï et que quelqu’un était en train de se débarrasser des témoins les plus gênants. Cependant, je n’arrivai pas imaginer l’« éduquateur social » en tueur à gages et ses méthodes semblaient bien trop compliquées et spectaculaires pour un simple travail de nettoyage.
Je ne pus hélas en savoir plus sur ce scandale à venir dont elle prétendit ne rien savoir. Mais je me doutais que Clébard possédait tout un carnet d’adresse d’hommes politiques très bien intentionnés et d’envergure cantonale qui désiraient au plus profond de leur cœur lui offrir des macarons à la fraise.
J’ajoutai ensuite que le commissaire Grau m’avait personnellement demandé de le retrouver, ce qui sembla lui en boucher un coin. Peut-être entrevit-elle l’espace de quelques instants la gigantesque machination dont elle pourrait être la victime ? J’avais pour ma part une telle impression de méli-mélo que j’en arrivais à me demander si celui qui tirait une ficelle pouvait prédire exactement quel effet cela aurait ou au contraire si quelqu’un tirait les ficelles pour simplement en voir l’effet. Dans la mesure où il y avait bien des ficelles et quelqu’un pour les tirer, bien entendu.
Je passai la soirée au Kitz avec Cousine à évoquer de vieux souvenirs et, craignant de rentrer tard avec une grosse somme sur moi, je finis par dormir sur la copie de canapé Louis XVI aux motifs floraux jaunes de sa chambre de princesse californienne. Je pus ainsi l’entendre chanter faux sous la douche et l’admirer, comme dans mon rêve, dans sa mini-mini robe de nuit en satin au décolleté vertigineux.

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