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Billet de blog 13 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre IV)

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Où le narrateur reçoit des messages codés d'outre-tombe et du triangle d'or.

IV


Je pus attraper de justesse l’autobus 39a qui partait vers la grande banlieue Est.
Mon abondant courrier était essentiellement constitué de factures et de publicités mais aussi de deux lettres dont l’une, facilement indentifiable, était de Cousine. Avec sa grosse écriture ronde, elle me racontait qu’elle avait pris peur suite à mon départ et quitté le Kitz pour une destination encore une fois codée : une longue déduction me fit aboutir au 5, avenue Victoria, code 1953.
Je ne connaissais pas l’écriture de la seconde lettre, et découvris avec stupéfaction qu’elle était signée « JR » ; elle avait été tamponnée du jour même où j’avais découvert son cadavre aux Pyramides. Le contenu en était lapidaire : « Si tu reçois cette lettre, c’est que je suis mort. Prière de contacter Etiennette Studbecker, 29 rue du Gaz ». Suivait un deuxième feuillet constellé de noms et de chiffres titré « Les Pyramides ». Ça puait le bristol d’invitation à remplir le 6ème trou de l’« éduquateur social », bien agrafé entre les deux yeux. Un nom me frappa tout de même : « Aquatemple, river of babylon, 75% ».
Je pris à l’arrêt suivant un bus dans l’autre sens et retrouvai le centre de Paris après quelques bifurcations tactiques propres à égarer un poursuivant.
Le 5 avenue Victoria était un massif immeuble haussmanien occupant tout un angle de pâté de maison. Je franchis la grande porte bleu cobalt avec le code 1953 et trouvai une boîte à lettre « Tah Kuzin, 7°gauche » : la boîte n’était pas verrouillée et contenait un papier indiquant « Royalama, le bar à partir de 15h ». Pour cette fois, je n’aurais pas à retraverser Paris, mais je me demandai si cousine avait pris cette étrange et probablement désuète manie des boîtes à lettres dans le thriller érotico-résistant « le grand bi noir ».


Cousine au bar du Royalama était vêtue zen à l’image de l’hôtel complètement relooké en gris, blanc, taupe et noir avec çà et là des séries de tâches monochromes très vives et des pans de mur à l’aspect aluminisé ou chromé. Elle avait ses cheveux tirés vers l’arrière en chignon, portait une sorte de tablier en lin écru, un pantalon de toile noir, chaussait des spartiates et se tenait assise, droite, hiératique, sans mouvement brusque, dans un grand fauteuil recouvert de velours sombre. Rococo fini, place aux mystères et aux sagesses de l’Asie.
Je lui expliquai les derniers évènements, notamment la mort de JR et mon bref passage sur les lieux du drame au Moulin d’Or. J’appris sans vraiment m’étonner que Beauvillain avait fréquenté le Winners’Club, même s’il s’en était écarté depuis plusieurs mois. Je lui parlai enfin de ma trouvaille sur un des billets de 100 euros qu’elle m’avait donnés. Elle m’affirma qu’Archibald Lebuntu était un des locataires de Beauvillain aux Pyramides -elle se rappelait l’avoir vu dans une liste que Clébard tenait à jour sur son ordinateur-et Beauvillain y possédait pas moins de 15 appartements.
Là, ça sentait fort l’affaire nauséabonde, et, comme apparemment moi non plus je ne sentais pas la rose, nous allâmes m’acheter des frusques de rechange dans les boutiques chic du quartier. Pendant ma lente transformation en minet précieux mais cool, la question d’aller faire un tour aux Pyramides s’imposa à nous de manière lancinante bien que nous nous demandâmes moult fois ce que nous pourrions y trouver. Cousine semblait n’avoir aucune idée des malversations de son Clébard, malgré une fouille minutieuse de ses affaires personnelles dans son appartement du quai de la Tournelle, et s’était résigné à constater non sans profit qu’il possédait une source difficilement épuisable de gros billets neufs comme ceux qu’elle m’avait donnés.
La décision d’attaquer les Pyramides la nuit même fut prise lors du diner au restaurant japonais par une sorte d’inspiration kamikaze : finalement, un des appartements de Beauvillain pouvait détenir une clé qui me débarrasserait enfin de cette insondable histoire et rendrait à Cousine son fiancé véreux. J’envisageai cette opération comme un dernier sacrifice à faire pour retrouver la liberté, ma der-des-ders à moi (et seul le diable aurait pu savoir que je ne pouvais trouver meilleure comparaison).
Cousine fit sortir son carrosse de princesse, une corvette cabriolet rose parme qu’elle venait de louer, et nous partîmes en toute ostentation aux alentours de 22h vers notre but secret : percer le mystère des Pyramides, dans la banlieue Sud-Est.
Après de nombreux détours, virages brusques et demi-tours visant à démasquer les filateurs, la routine en somme, cousine se gara non sans d’immenses difficultés dans une rue étroite et discrète à plusieurs pâtés de l’esplanade. J’avais gardé mon costard de minet décontracté tandis que Cousine s’était carrément déguisée en Irma Vep (quelle garde-robe inépuisable !), le grand collant moulant noir assez transparent lui allait comme un charme.

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