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Billet de blog 13 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre V)

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Où le narrateur croise une ombre nommée Clébard-le-paon-de-tocardville.

V


¾ des sonnettes de la porte d’entrée 5A de la tour Kephren n’avaient aucun nom, et dans le ¼ restant, il n’y avait pas d’Archibald Lebuntu. Pour entrer dans le hall, je sonnai donc au hasard chez une certaine Anastassia, en spéculant sur son activité. Une voix lointaine et crachotante répondit « oui ? ».
–C’est pour l’affaire dis-je volontairement évasif.
–Tu es nouveau ? Tu connais les tarifs ? 50 la branlette, 100 la pipe, 200 la baise, 300 la complète avec sodo, 450 l’heure et 1500 la nuit, capote obligatoire fournie, pas de sado-maso, pas de pipi, pas de caca et aucune autre spécialité exotique. Ok ? nasilla Anastassia.
–Bon, je vais prendre une pipe alors, répliquai-je.
La porte en verre s’ouvrit dans un bourdonnement monocorde et un dernier grésillement du haut-parleur
–2ème gauche, 214, prépare ta monnaie chéri, c’est 100 euros.
Une fois à l’intérieur nous repérâmes le n°d’appartement 662 sur le plan général des consignes d’incendie. 6ème étage. Nous montâmes par l’escalier pour plus de discrétion.
Aucun bruit au 6ème. Pas de lumière dans les couloirs. Heureusement Cousine avait pris une lampe torche qui éclaira d’abord un cercle de moquette toute râpée puis des morceaux de murs aux tapisseries à fleurs déchirées puis enfin des portes avec leur numéro. Nous évitions de parler et marchions sur la pointe des pieds, impressionnés par le silence absolu qui régnait à cet étage -en toute probabilité complètement inhabité. Nous nous arrêtâmes devant le 662, et collâmes une oreille contre la porte. Il avait l’air complètement vide. Je tournai lentement la poignée, au cas où. La porte était fermée à clé mais je perçus un bruit à l’intérieur, sans pouvoir bien préciser à quoi l’associer.
Le verrou claqua soudainement, la porte s’ouvrit et une ombre se précipita à l’extérieur en agitant devant elle une sorte de grosse mallette à la manière d’un bélier. Cousine laissa tomber sa lampe de poche qui roula en éclairant les plinthes et la moquette rouge brique. La silhouette se rua dans l’obscurité vers l’escalier dont on entendit la lourde porte s’ouvrir et grincer en se refermant doucement par l’action du groom hydraulique. Nous restâmes quelques secondes sans bouger, hésitant à entreprendre une poursuite quand Cousine s’écria : « C’était Kléber ! ». Elle ramassa la lampe torche et courut vers la cage d’escalier pour l’appeler.
Je restai devant l’appartement grand ouvert, dans un noir total. Puis je vis le faisceau de sa lampe se rapprocher et l’entendis proférer quelques jurons de dépit de n’avoir su retenir son fuyant chéri. Nous entrâmes non sans appréhension dans l’appartement qui ressemblait copie conforme à celui de JR. On put allumer les plafonniers et constater que le logement était complètement vide à l’exception de deux couvertures, d’un oreiller et d’une petite télé portable dans le séjour, d’un réchaud à gaz de camping, d’une casserole et d’un monceau de boites de ravioli et de cassoulet, vides ou pleines dans la cuisine, d’une brosse à dents, d’un savon et de deux serviettes dans la salle de bain.
Je trouvai un antique coffret à cigares au fond d’un placard semblant entre autres contenir des clés ; je préférai ne pas l’inventorier sur place tant il me pressait de déguerpir.
Cousine crut alors entendre un bruit dans le couloir et, comme des sprinters au coup de feu du starter, nous nous jetâmes ensemble en dehors de l’appartement. Nous courûmes sans interruption jusqu’à la voiture qu’elle démarra dans un rugissement de fauve en rut allumant d’un coup toutes les fenêtres de la petite ruelle devenue temporairement moins tranquille.
En route vers le Royalama, j’ouvris la boîte pour voir ce qu’elle contenait : des clés plates très biscornues, on aurait dit des clés de coffre-fort, une carte de membre du Winners’club expirée depuis 2 mois et une carte de membre du cercle Notre-Dame encore valide jusqu’à fin novembre (j’avais enfin de quoi satisfaire mes instincts et je me promis d’aller y faire une razzia dès que le quai d’Orléans serait devenu plus tranquille). Cousine supputa que les clés pouvaient en effet ouvrir des coffres que Clébard aurait loués dans différentes agences bancaires mais dont elle n’avait hélas pas les coordonnées. Je la sentis cependant si motivée par cette piste que j’entrevis qu’elle disposait peut-être de bien plus d’éléments qu’elle ne voulait me le laisser croire.
Une fois la Barbie-car garée dans les entrailles du Royalama, après les circonvolutions d’usage particulièrement inutiles avec une auto aussi repérable, nous montâmes séparer notre maigre butin dans sa chambre, une vaste suite aux tons chêne clair, taupe et gris à la déco peut-être plus discrète que celle du Kitz mais laissant la même impression étouffante de bonbonnière chic et péteuse, tendance rive gauche cette fois-ci.
Le partage fut vite fait : à elle les clés, à moi les cartes. Nous discutâmes ensuite des Pyramides et je lui montrai le papier reçu de JR le matin même. Elle parcourut la liste de noms et de chiffres et s’exclama : « Je connais ces noms-là ! Kachalo I, II et III ! C’étaient des sociétés appartenant à Kléber, les chiffres par-contre je ne sais pas à quoi ils correspondent. »
Cela confirmait encore une fois que ce complexe triplement pyramidale n’était pas simple et détenait en lui-même une énigme encore indéchiffrable à la source de bien des évènements tragiques récents. J’y repensai longuement avant de m’endormir sur le divan en cuir pleine fleur beige aux délicates surpiqûres écrues de la suite 351.

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