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Billet de blog 14 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre VII)

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Où le narrateur croit commencer à lever le voile fumeux et malodorant recouvrant les Pyramides.

VII


La mairie de Maurjene-sur-Seine était un bâtiment typique de l’époque 1880 genre « château républicain » — grandes fenêtres à meneaux, haute toiture pentue en ardoises, terrasse et cheminées de style classique— érigé dans le but de faire bien comprendre aux aristos du coin qui dorénavant portait la culotte.
Maurjene-sur-Seine était la commune où se dressait le complexe des Pyramides, j’avais dû passer une grosse heure et demie en bus avant d’en atteindre le centre tout en veillant, routine oblige, à ne pas être suivi. La salle du cadastre avait gardé son look vieillot, haut-plafonds, grandes bibliothèques vitrées remplies de registres reliés et lustre imposant, à l’image de la secrétaire à grosses lunettes d’écaille qui m’apporta les deux volumes consacrés aux Pyramides, soit 1852 lots. J’attaquai par Kephren pour vérifier que l’appartement d’Archibald Lebuntu appartenait bien à une société de Beauvillain (pour cela, je dus demander un autre registre à partir du numéro cadastral) : bingo, Cousine ne m’avait pas menti, c’était Kachalo II. Je pris ensuite au hasard des lots de Kheops et de Kephren pour en connaître les propriétaires et les croiser avec les noms fournis dans la liste de JR. Re-bingo, presque tous les propriétaires figuraient dans la liste de JR, ce qui me permit rapidement de conclure que j’avais sous les yeux la liste des 34 sociétés possédant au moins 90% des Pyramides. Restait à savoir qui se cachait derrière ces noms exotiques, "Tarakama", "Boulder city", "River of Babylon"…
A ce stade de ma réflexion, un homme en costume cravate entra dans la salle et se planta devant moi. D’un air froid et poli, il me demanda si je trouvai ce que je cherchai en me fixant intensément, puis son regard glissa sur le papier de JR que j’avais posé sur la table et ne s’en décrocha plus. Je sentis qu’il essayait de le lire à l’envers et qu’il était juste temps de partir avant que les désagréments ne commencent.
–D’ailleurs, j’ai fini dis-je en repliant la feuille et en la mettant dans ma poche.
–Les Pyramides vous intéressent ? insista-t-il.
–Oui, pas plus que ça, mais ça peut faire un bon investissement… répondis-je au pif.
–Vraiment, vous aimeriez acheter aux Pyramides ? Pourtant la situation n’y est pas facile. Il y a pas mal d’insécurité, de la drogue… Savez-vous qu’un policier a été retrouvé assassiné là-bas il y a deux jours, dans son appartement..
Etait-ce une menace ? Je ne tenais pas à approfondir l’hypothèse et je m’étais déjà levé pour partir, voire galoper vers une infinité d’autobus qui, sillonnant la capitale de part en part, aurait fait perdre ma trace à tous les chasseurs qui cherchaient à m’abattre.
–On verra dis-je pour conclure alors que je franchissais le seuil de la porte.
Je sortis en marchant très vite puis courus jusqu’à la gare routière où il y aurait nécessairement un autobus en partance. Je montai dans le premier qui démarrait, en changeai 6 stations plus loin et ainsi de suite jusqu’à avoir dessiné un embrouillamini tel de trajets contradictoires, d’autobus vides puis bondés, de marche à pied dans des rues désertes et dans des avenues grouillantes qu’aucun prédateur n’aurait pu me suivre sans être immanquablement repéré.
Epuisé, je retournai vers le centre de Paris en fin d’après-midi bien décidé à savoir qui étaient les propriétaires de ces sociétés immobilières. J’allai à la chambre de commerce et pus consulter les registres juste avant la fermeture. Je n’eus le temps de trouver que « River of Babylon » : propriétaire à 90%, Jean-Luc Grabouillet, à 10% Eliane Chauveau. Même si le nom de Grabouillet me disait vaguement quelque chose, la pêche était encore une fois décevante.
En sortant du fastueux immeuble de la chambre de commerce, je lus les grands titres des journaux du soir à la devanture d’un kiosque : « Affaire Destouches-Gonzabal : Grau doit s’expliquer ». Avec un réflexe d’autruche, je préférai ne pas approfondir pour l’instant mais je compris qu’il valait mieux que je me tienne à carreaux cette nuit et trouver un hôtel discret où personne n’irait me chercher.
C’est en croisant une colonne Morice affichant un concert de Kenny Rogers à l’Olympia la semaine suivante qu’un éclair se fit en moi : Jean-Luc Grabouillet, c’était Kenny Riviera.
Kenny Riviera était à Bow Island, Kenny Riviera possédait plus de 30% des Pyramides et 75% de l’Aquatemple et JR pensait, ou présupposait qu’il y avait eu des malversations, pourquoi pas une escroquerie… Clébard était aussi mêlé, peut-être dans une moindre mesure, et il suffirait de montrer que son copain Prouff était aussi mouillé qu’une tranche de pain servie au dépôt de la Préfecture de police.
J’eus l’instinct d’appeler Grau, de le mettre sur cette piste tout en essayant de m’expliquer plus à fond. Pour cela, je devrais le rencontrer en terrain neutre. C’est à ce moment-là que j’entrai dans le hall du MinabOtel et louai une chambre standard-crado jusqu’au lendemain.

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