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Billet de blog 15 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre IX)

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Où le narrateur remonte à l'assaut des Coquelicots avec Cousine et sans couteau.

IX


Pourri pour pourri, je pris une chambre au Mykerinos qui avait l’avantage d’être à la sortie de l’auditorium. Les vendeurs des ampoules électriques « Luminor et la vie s’éclaire » en séminaire de motivation -on leur souhaitait la bienvenue sur le panneau à l’entrée-logeaient dans l’hôtel. Je les entendis revenir du spectacle de Svetlana vers 1 heure, éméchés et heureux de s’être tapé une star du X qui serait bientôt la plus grande putain du monde et certainement de l’histoire. Finalement, je pensai, peinant à trouver le sommeil sur mon lit au matelas défoncé par trop de nuits de culbutes, qu’ils venaient de communier avec une instance supérieure mais, au lieu d’avaler une rondelle de pâte cuite chargée de symbole, ils venaient eux-mêmes de se faire avaler à moitié cuits par la rondelle d’un sex-symbol et qu’ils y trouvaient peut-être autant de réconfort moral.
Je pris mon petit déjeuner au restaurant panoramique d’où l’on ne voyait pas grand-chose, sinon de vagues monuments de Paris à l’ouest, la banlieue plate et monotone dans les autres directions. J’envisageai de retourner aux Coquelicots avec Cousine, tant la perspective m’effrayait d’y aller seul. Ainsi, une fois terminés mon croissant élastique et mon café clairet, j’appelai le Royalama d’une cabine et obtins la voix ensommeillée de Cousine qui se déclara prête à m’accompagner avec une voiture décente quelque part en banlieue. Nous nous donnâmes rendez-vous à la boîte à lettres n° 2 à 12h zéro-zéro.
En attendant, j’épluchai la presse et en particulier le cas Grau. On lui reprochait d’avoir relâché un témoin capital, peut-être un suspect, c’est-à-dire moi, sans en avoir référé à quiconque. Or, il avait été établi que cette personne, donc toujours moi, avait aussi été suspectée dans l’assassinat de Destouches. Pour l’instant on s’en prenait plus à Grau qu’à moi, bizarrement, mais ça ne devrait plus durer très longtemps… Le bilan de l’attentat du Moulin d’Or devenait définitif : Levizir, propriétaire de quelques appartements aux Pyramides était mort, Labrouti s’en remettrait doucement, Cazette avait perdu un œil et une main et Nonours s’en tirait avec une bosse. Guelfi, lui, s’autoproclamait toujours héros de la civilisation. Un article du « Quotidien du jour » évoquait confusément une piste partant des Pyramides pouvant relier certains crimes, mais plus de l’ordre d’un trafic de drogue que d’une magouille immobilière.
Je me présentai au 5, avenue Victoria à 12h pile et entrai dans le hall directement. Cousine ne se pointa qu’à 12h54, ayant eu des difficultés pour se garer, prétendit-elle. J’eus tout de suite une inquiétude quant à son choix de véhicule et fus confondu quand elle me présenta l’immense fourgon Mercédès gris métallisé qu’elle avait arrêté en double file juste devant la porte. « On passera pour des livreurs », me dit-elle ingénument.
« J’allais quand même pas prendre une Renault », m’avoua-t-elle durant le trajet jusqu’aux Coquelicots que nous atteignîmes en une vingtaine de minutes. Elle gara tant bien que mal son gros machin sur le parking toujours jonché d’épaves en face du 6 avenue Lénine.
Nous sonnâmes chez Luigi qui ouvrit. Son air sombre s’éclaira à la vue de Cousine, il nous laissa entrer, il nous offrit un café. Il affirma m’avoir reconnu sur la vidéo comme étant l’individu ramassé par les flics chez JR et je dus lui avouer qu’il s’agissait d’un malheureux concours de circonstances, une nouvelle fois. Il n’eut pas l’air de contester cette possibilité. On parla de Grau, de ses soucis et à nouveau de moi. Profitant d’un blanc, Cousine commença son numéro en s’intéressant aux photos accrochées aux murs du salon. Souvenirs de vacances, collègues de la PJ, souvenirs d’enfance… Alors, Luigi commença à déballer tout et rien comme on rouvre au hasard des vieux cartons poussiéreux dans un grenier oublié. L’envie de somnoler me tarauda vite les paupières et je pris l’habitude de regarder alternativement Luigi, Cousine puis par la fenêtre, histoire de maintenir un semblant d’attention et de vérifier que personne ne vandalisait le Mercédès.
Après plus d’une heure de conversation où je compris que le talent de Cousine ne consistait pas seulement en sa beauté naturelle et rayonnante, en sa classe innée mais aussi en ses talents d’actrice capables de simuler l’intérêt pour autrui comme personne, je vis s’arrêter le long du boulevard une autre camionnette grise. Une personne, un livreur probablement, en descendit et se dirigea vers l’immeuble d’en face. Je revins temporairement à la conversation qui tentait d’établir un catalogue raisonné des mérites comparés du Grau-du-roi et de Balaruc-les-bains quand je revins à la camionnette du Boulevard qui n’avait toujours pas bougé. Au bout de 15 minutes supplémentaires, alors que Cousine faisait parler Luigi de son « accident » à l’Aquatemple -et quiconque aurait pu comprendre à demi-mot que c’était un règlement de compte-un mini-van de la chaîne 24 arriva en trombe de la droite et pila dans un crissement de pneus au niveau de la fourgonnette grise. Deux personnes en sortir, l’un avec une caméra, l’autre avec un micro sans fil. Ce-dernier fit le tour en essayant de voir l’intérieur par les fenêtres, finit par ouvrir une porte arrière et resta quelques instants immobile. Je le vis se retourner et gerber dans le caniveau. Le caméraman commença à filmer.
D’autres voitures d’autres médias arrivèrent dans la minute et certaines prirent l’option de se garer du côté de notre fourgon. Une foule dense et spontanée s’était déjà rassemblée au cul de la camionnette ouverte, encerclant les premiers journalistes. Quand les flics et les pompiers arrivèrent toute sirène hurlante, la foule se dispersa en lançant des cailloux, Cousine et Luigi arrêtèrent leur conversation et regardèrent avec moi l’ébahissant spectacle de début d’émeute.
Nous décidâmes de décarrer fissa pour sauver le Mercédès et nos peaux.

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