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Billet de blog 15 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre VIII)

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Où le narrateur et le commissaire Grau auraient pu participer à un record mondial si leur libido avait été moins atone.

VIII


La nuit avait encore été médiocre et sans rêves, l’hôtel à peine moins minable que le précédent, mais voilà, à chacun son « ParisVision » : Cousine c’était en limousine et moi c’était à la mords-moi le nœud.
Les journaux du matin l’annonçaient à l’unisson : « le commissaire Grau est suspendu temporairement de ses fonctions. Ouverture d’une enquête administrative ». Tout en mangeant ma tartine beurrée, je réfléchissais à l’impact de cette nouvelle sur mon intention de le rencontrer, mais je voyais bien que je n’avais personne d’autre à qui parler. L’approche n’en serait cependant que plus délicate : il faudrait entrer en contact discrètement pour fixer le rendez-vous car il avait dû être mis sous surveillance ; Il serait suivi dans tous ses déplacements et il faudrait éviter de se faire choper.
Je synthétisai cet ensemble de contraintes en une seule tactique qui me sembla à première vue imparable, à deuxième vue à peine infaillible et enfin, après un dernier café, franchement casse-gueule, mais la consultation de mes idées nouvelles ne me proposa pas d’alternatives.
Dans la phase I de mon plan en quatre étapes, je retournai fissa aux Pyramides acheter deux places numérotées pour le spectacle de Svetlana programmé ce soir-là. C’était un lieu public, sombre et probablement assez bruyant comme le sont les shows pour adultes. C’était aux Pyramides, donc, je pourrais lui faire voir si besoin l’appart de Beauvillain pour matérialiser mes propos.
Dans la phase II, je me procurai un cabas à roulettes de mamie que j’achetai dans un supermarché puis une grosse pile de journaux de petites annonces que je glanai aux devantures d’agences immobilières et que j’entassai dans mon chariot aux motifs tartan.
Dans la phase III, je me rendis au domicile du commissaire en tirant mon caddie et, à partir du début de la rue, glissai un journal par boîte aux lettres. Celui réservé au domicile de Grau avait une enveloppe dissimulée à l’intérieur contenant le ticket et un mot signé par moi. Le risque d’être reconnu par un des inspecteurs en faction existait, mais n’étant pas rasé depuis près de 10 jours, ayant changé complètement de vêtements et de style, ça restait jouable avec une grosse casquette de base-ball enfoncée jusqu’aux oreilles et l’air de pas y toucher.
Dans la phase IV, il n’y avait plus qu’à se présenter à la soirée du Svetlana Show qui s’appelait, dixit l’hôtesse, « les 100 000 verges » (rien que ça), à 21h zéro-zéro comme on dit dans les films d’action. Et là, j’improviserais.
Comme je dus faire tous ces déplacements en autobus, j’arrivai seulement en fin d’après-midi à la chambre de commerce pour compléter mes informations sur les sociétés propriétaires des Pyramides. Où je vis qu’il y avait du beau monde : Prouff possédait en propre trois sociétés et pas loin d’une centaine de lots, sa banque la General Banking Consolidated possédait mille lots au travers d’une dizaine de filiales dont la plupart étaient domiciliées à Nassau (Bahamas), Hubert Levizir avait une société, qui d’après la liste de JR comportait cinquante lots. En résumé, j’y comprenais que dalle mais ça devenait clair : le nœud de vipères était bien là.


Je me présentai au guichet de l’auditorium de Mykerinos un petit peu en retard, de sorte que j'entre en coup de vent et qu’on me place dans le noir. Chose faite, je vis que le spectacle commençait classiquement par le strip-tease de Svetlana. Je me penchai vers la personne assise devant moi et constatai avec satisfaction qu’il s’agissait de Julius Grau. Je lui parlai discrètement entre les dents, il pencha un peu sa tête en arrière comme si j’allai le shampooiner.
–Merci d’être venu. Etes-vous suivi ?
Il hocha positivement.
–Voilà, j’ai trouvé une piste à partir de JR et Beauvillain menant à Prouff, à Levizir et certainement à d’autres membres du Winners’Club, et, plus loin, si on approfondit, aux Bahamas et peut-être même à La Moissoinière.
Svetlana s’était entièrement déloquée et tripotait ses parties génitales, la salle commençait à chauffer, ça sifflait et criait si bien que je ne pus comprendre ce qu’il marmonna. Faille du plan. Je lui donnai rendez-vous aux toilettes 5 minutes plus tard et sortis de la salle.
Je pris un cabinet et attendis. La porte battante s’ouvrit. Je dis :
–C’est vous ?
Une grosse voix rauque me répondit :
–Non, c’est pas moi p’tite tarlouze. Ici c’est un spectacle hétéro, vas te faire épousseter le conduit ailleurs.
Je me tus. Il pissa à grand bouillon et sortit. Une deuxième personne entra.
–C’est vous ? réitérai-je.
C’était lui. Je le fis entrer dans le cabinet et il me chuchota :
–Pourquoi m’avez-vous emmené ici, c’est sordide.
–Bienvenue aux Pyramides dis-je. Vous êtes suivi ?
–Evidemment que je suis suivi, pour quoi je passe moi ? s’énerva-t-il. Bon, j’ai compris ce que vous m’avez dit, le problème c’est que je suis coincé entre ma hiérarchie et mes équipes et je ne peux pas faire plus confiance à l’une qu’à l’autre. Maintenant, ça devient difficile à cause de vous mais je crois toujours que vous pouvez m’être plus utile dehors que dedans. Allez voir Luigi et essayez de lui tirer les vers du nez, les autres flics le protégeaient, c’est certain. Donnez-moi quelque part où vous contacter.
Je lui donnai l’adresse et le code de la vieille boîte à lettres de Cousine et le laissai sortir avant moi.


Je rentrai dans une salle devenue complètement hystérique. La plupart des spectateurs s’étaient levés et approchés de la scène. Ils avaient ouvert leur froc et sorti leur vit qu’ils caressaient furieusement en regardant Svetlana s’enfouir une énorme courge vibrante en plastoc dans le vagin. Puis la musique changea radicalement pour un genre « aria » de Bach, la lumière se tamisa, créant une pénombre presque solennelle. J’eus l’impression qu’une cérémonie commençait. Svetlana changea de position et s’allongea les jambes écartées perpendiculairement à la salle. On amena un afficheur digital indiquant 10862 et une boîte munie d’un orifice sur une table roulante. Un premier spectateur gravit les quelques marches le menant au plateau, un videur en costard lui tendit une capote rose qu’il enfila, puis il enfila l’orifice de la boîte, enfin il enfila Svetlana avec une petite secousse et le compteur passa à 10863. Je compris que toute la salle ou presque y passerait mais qu’elle était encore bien loin des 100000 (verges).

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