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Billet de blog 21 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre XIV)

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Où le narrateur, au coeur de la branchitude en toc, assiste à l'enlèvement du satyre.

XIV

La soirée tenait ses menaces, on m’avait collé entre Claudio et Scarlett et je pensai sans cesse au comment de ma mort imminente, sachant que l’éduquateur social frapperait évidemment avec cruauté et par surprise. Si bien que j’étais un convive peu loquace, de toute façon qu’avais-je à dire à un animateur d’émission de vulgarisation philosophique dont l’objectif consistait à abâtardir un grand nombre de concepts dans une mécanique obsessionnellement positive où il apparaissait toujours que nous vivions dans le meilleur des mondes mondialisés possible, le sexe librement consenti pratiqué en public en prime ? Quant à la jolie Scarlett, je crus bien deviner qu’elle avait été payée pour décorer la salle et faire quelques photos avec les fiancés et les différents produits Riviera (Alvin, Kevin et Marvin) qu’on distribuerait ensuite aux magazines people et aux sites pour ados avec l’intention de « faire rêver » ou de zoomer sur l’acné pommadée de Kevin. Je compris aussi que moyennant un supplément je pouvais ajouter des options à sa seule conversation (celle-ci en effet tenait plus du répondeur vocal que du colloque à la Sorbonne).

Il devait être à peine plus de 22h30, on venait de finir le turbot à la royale quand on entendit un bruit semblable au moteur d’un engin de chantier recouvrir la musique de l’orchestre de chambre. Le plafond de la toile de tente se déchira brusquement au-dessus de Grabouillet, un câble à nœud coulant tomba par le trou et se serra instantanément autour de lui. Il y eut des hurlements, l’orchestre se débanda en lâchant ses instruments, Riviera cria des ordres et ses molosses se précipitèrent pour le libérer alors que celui-ci commençait à s’élever dans les airs en retournant la table dans un fracas de vaisselle cassée. Voyant qu’ils ne pouvaient rien faire, les cerbères dégainèrent leurs armes et tirèrent vers le haut à travers la toile. Ils durent stopper quand Riviera disparut par le toit et je pus juste les voir sortir par la façade translucide donnant sur le bassin avant de plonger moi-même sous la table dans un mouvement d’ensemble des convives. On entendit des échanges de coups de feu nourris avec des rafales d’armes automatiques puis on n’entendit plus que Riviera meugler et la grue fonctionner. Puis on entendit des portières claquer et une voiture démarrer en trombe. Puis on n’entendit plus que le silence ponctué de sanglots et un gémissement continu, j’aurais parié que c’était Guelfi qui avait paumé ses pilules. Je regardai vers mes voisins, à quatre pattes comme moi, pour savoir s’il était opportun de se relever. Je sortis la tête de sous la nappe et vis d’autres visages ahuris dont celui de Cousine dépasser de la table renversée ou s’extraire coiffés de dentelle comme à une fête folklorique. Un à un nous nous levâmes, étirant nos membres et les tâtant pour en vérifier le fonctionnement. Sam et Pierrette tremblotaient sur pied, Cousine avait arraché sa robe de sirène sur tout un côté montrant ainsi qu’elle ne portait rien en-dessous, Alvin, Kevin, Marvin et les créateurs à mèches se collaient les uns aux autres comme une nichée d’oisillons, Guelfi avait dû retrouver quelque réconfort chimique car il recommençait à déblatérer son couplet sur la décadence devant un Claudio qui s’allumait un gros pétard avec avidité. Je m’approchai de Cousine pour m’enquérir de son état : elle s’était déjà ressaisie en fermant avec une épingle sa robe grande ouverte sur le côté droit et en s’arrangeant les cheveux dans un miroir improvisé avec un plat en argent. Car elle entendait déjà la police arriver, probablement prévenue par quelque versaillais secoué sans ménagement dans son sarcophage d’ennui et d’apparences distinguées. Sentant la garde à vue revenir au galop avec quelques semaines de préventive en cadeau, je me glissai discrètement par le fond dans une espèce d’arrière-tente servant d’office où les musiciens déperruqués ébahis tenaient compagnie aux cuistots sur le cul. Sortie dans le jardin, juste le temps d’entendre des policiers entrer en hurlant « Police nationale, ne bougez pas, écartez les mains du corps ». Je m’éloignai dans le parc pour me cacher derrière un bosquet. Après un moment, les flics embarquèrent tout le monde dans des paniers à salade. J’imaginai sans déplaisir l’air piteux de Sam et Pierrette retrouvant les moyens de locomotion malodorants de leur jeunesse militante au moment même où ils pensaient atteindre le sommet du glamour parisien dans une soirée super-select.

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