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Billet de blog 24 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (2) (Chapitre XVII)

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Où le narrateur narre sa narration.

XVII

J’emmenai le dossier dans un sac en plastique et en parcourus quelques feuilles au hasard dans mes bus de retour. Il ressortait un nom de tous ces documents, Laurent Parfé, notaire à Maurjene-sur-seine, dans mon souvenir président d’un parti politique appelé centre du Progrès.
Devant la tâche qui allait nécessairement me dépasser, je cherchais longtemps une possibilité d’appui fiable et intègre. Bien entendu, il n’y avait personne. Seul Grau pouvait apporter les compétences indispensables à mon entreprise mais, soumis à une enquête administrative, quel pouvoir lui restait-il ? Je pris la décision de ranger le dossier au coffre et de n’en garder que quelques feuillets que j’irais glisser dans notre boîte à lettre n° 1. Je verrais bien, après tout, si Grau saurait m’en demander plus. Pendant ce temps-là, j’essaierais de tirer mes propres conclusions en m’enfermant le temps nécessaire dans un endroit discret.
Je me présentai, avec toutes les précautions anti-filature d’usage, à notre boîte à lettres. Je tapai le code, entrai dans le hall et glissai quelques feuillets dans la fente quand un individu en gabardine surgit de la cour et me cria « arrêtez, police ! ». Je me retournai pour m’enfuir par la grande porte mais déjà deux autres flics en civil en franchissaient le seuil brandissant leur carte dans une main, leur revolver dans l’autre et je compris que j’avais été trahi.


Ce serait le triomphe public de Gluant et la honte privée de Grau pensai-je alors qu’on m’emmenait menotté vers le Quai des Orfèvres. Arrivé là-bas, nous dûmes traverser en voiture la foule compacte des photographes et cameramen qui attendaient le grand évènement devant le porche. Puis je repassai l’épreuve standard de la garde à vue pour retrouver enfin cette bonne vieille chaise en plastique moulée orange sur sa rangée de six qui n’avait pas pris une fêlure depuis notre dernière idylle brève et intense.
Combien de temps attendis-je ? Une éternité, même si l’horloge du couloir indiquait toujours 7h55 à mon arrivée comme à mon extraction du bocal par deux plantons qui me conduisirent sans ménagement au bureau du commissaire Grau.
–J’ai fait ce qu’il y avait de mieux pour nous deux, me dit-il avant même que j’aie pu prononcer le plus petit début d’insulte. Ainsi, je retrouve la confiance de mes supérieurs, et je vous protège de vos ennemis, car vous en avez maintenant beaucoup.
Je lui répondis qu’il ne faisait qu’entrer dans le rang des innombrables fonctionnaires serviles prêts à commettre une erreur judiciaire pour flatter leur hiérarchie et attendre d’elle quelque récompense. Que maintenant, la corruption généralisée du système économique, politique et judiciaire aidant, quiconque accédait à un haut poste pouvait être automatiquement accusé de lâcheté et de compromission et que cette qualité seule servirait de chef d’inculpation à un tribunal révolutionnaire. Voilà, c’était claqué dans sa tronche (même si je m’étais un peu emporté et que je ne voyais vraiment pas à quelle révolution je pouvais faire allusion).
Il me sourit comme à un enfant puis me fit le geste de m’approcher. Il écrivit sur une feuille blanche en gros caractères : « VOUS NE POURREZ LES COMBATTRE FRONTALEMENT CAR ILS VOUS ECRASERONT » pendant qu’il répandait des louanges sur le ministre Gluant, homme à poigne et de conviction qui avait une vraie vision de la France et des français. « VOUS SEREZ LA MULETA, JE SERAI L’EPEE ». Tu parles d’une métaphore, est-ce que j’avais une tête de muleta ? Puis il déchira le papier qu’il enflamma dans un cendrier.
–Nous allons procéder à votre interrogatoire concernant les crimes de Jean-René Gonzabal et Karim Klapov, vous avez le droit à l’assistance d’un avocat. En fonction de vos réponses, le juge décidera ou non de vous mettre en examen.
Puis il reprit un papier : « NE DONNEZ AUCUNE INFORMATION SENSIBLE PENDANT VOTRE INTERROGATOIRE ET ATTENDEZ D’ETRE DEVANT LE JUGE AVANT DE PARLER ».
On me reconduisit dans le bocal. Je fus ensuite interrogé par des inspecteurs hargneux clairement dans la ligne du parti dont l’intention a priori était de me charger aussi lourdement que possible bien qu’évidemment rien dans mes réponses ne pût laisser supposer mon implication directe dans aucun des meurtres. Ils me cuisinèrent interminablement sur les deux actes notariés que j’avais glissés dans la boîte et la clé de coffre-fort trouvé lors de la fouille. Je mentis éhontément à leur sujet, suivant ainsi les précieux conseils de l’opuscule le dealer et la garde à vue (récemment réactualisé sous le titre le politique et la garde à vue) indiquant que la boîte à lettres me servait de poubelle à papiers et que j’avais trouvé la clé dans la rue. Après une dizaine d’heures de questions-réponses idiotes incessamment rabâchées, une nuit en cellule, l’ingestion d’un sandwich mou et d’un café lavasse, et enfin la signature du PV, je fus présenté au juge d’instruction.
On traversa un long couloir menant au palais et j’attendis sur un banc encadré par deux agents.
La juge était assis derrière son bureau encombré par des piles de dossier. Jeune et fringant dans son petit costume cintré de confection, je sentis immédiatement en lui l’esprit sourcilleux du légaliste et le souffle du croyant peu enclin à la compassion pour les fautes morales et les faiblesses des plaisirs matériels. Il me regarda fixement avec ses yeux bleus pâle puis, après un long silence, il me signifia de sa voix fluette et de ses lèvres pincées que j’étais mis en examen pour « non-assistance à personne en danger » et « délit de fuite » dans les affaires Destouches, Gonzabal et Klapov. Il précisa que mes réponses dénotaient en outre d’un refus caractérisé de collaborer ce qui le conduisait naturellement à demander ma détention provisoire. Il se réservait le droit d’ajouter la « complicité de meurtre », voire le « meurtre » si les enquêtes en cours aboutissaient en ce sens. Puis il me demanda si j’avais d’autres déclarations à faire, ce à quoi je lui répondis « oui ».
Et je déblatérai sans fin toute l’histoire des Pyramides en essayant d’omettre le moins de détails possible. J’eus l’impression durant toute ma déposition de jouer la partie de flipper la plus échevelée de ma vie, chaque nouvelle révélation allumant dans les yeux de mon interlocuteur des extra-balles, des loteries gagnantes et des super-bonus qui le faisaient gémir du plaisir sadique et anticipé de pouvoir en mettre bientôt plein la gueule à certains personnages en vue.
Mais bon, en taule quand même.

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