Voici le prologue d'un roman policier aux personnages inspirés par la haute stature intellectuelle et morale des protagonistes des affaires Bettencourt et Karachi et, bien sûr, leur sens très particulier du business légal. Aux hommes politiques et hauts fonctionnaires, j'ai ajouté quelques phynanciers de belle allure, des policiers pas nets, des délinquants notoires, des mannequins inexpressifs, un publicitaire orange, un show-businessman priapique ainsi que quelques terroristes histoire de fabriquer un tableau désolant et hilarant, peut-être réaliste, des moeurs d'une certaine élite néolibérale et mondialisée. Si ce prologue plait à certains, je me ferai un plaisir de le diffuser en entier par épisode sur ce blog.
Joyeux Noël à tous.
Prologue
Pour se rendre à Bow Island, les passagers, tous triés sur le volet, font d’abord escale à Nassau, Bahamas. Ils embarquent ensuite à bord d’un bimoteur d’une dizaine de places qui doit voler à peu près une heure avant qu’ils ne découvrent, émerveillés, la petite île en arc de trois kilomètres de long s’élargissant à ses extrémités, presqu’en entièrement recouverte de cocotiers et baignée par un immense lagon turquoise sur sa toute côte Est. L’avion atterrit sur la partie centrale, la plus étroite, qui divise Bow Island en deux villégiatures distinctes offrant chacune une grande piscine donnant sur l’océan, trois bungalows de luxe disséminés parmi les cocotiers et l’accès à la longue plage de sable blanc ourlant l’intérieur de l’arc et donnant sur le lagon.
Sur Bow Island, chaque invité disposera d’un personnel entièrement dévoué, préparant petit-déjeuner, repas, brunchs et cocktails tout en assurant un service de chambre de grande qualité. Pour la discrétion et la tranquillité de tous, une compagnie de vigiles patrouille jour et nuit sur terre et sur mer afin d’interdire l’accès aux importuns, pirates, terroristes et autres paparazzis : Bow Island est l’endroit paradisiaque à la mode qui attire la meilleure société du monde des affaires et du show-business.
En ce 4 septembre au matin, le propriétaire de Bow Island s’apprêtait à son activité nautique favorite. Il était assis sur le ponton, au milieu du lagon, les pieds caressant la surface de l’eau, et attachait son gilet de sauvetage. Bientôt il plongerait dans la mer transparente et s’arrimerait à un parachute que deux employés étaient en train de préparer à quelques mètres de là, sur un hors-bord.
Le médiatique publicitaire Robert Guelfi, arrivé depuis trois jours, s’était allongé sur un transat de la plage sud et lisait un journal la tête à l’ombre d’un parasol. Il avait une peau très ridée presqu’orange ruisselant de sueur qui le faisait ressembler à un vieux crapaud beurré de fond de teint.
Une autre chaise longue installée pas très loin à gauche de la sienne était aussi utilisée, bien qu’à cet instant inoccupée. Kenny Riviera, la star du show-biz à l’éternelle permanente peroxydée coupe Bee-Gees qui avait démarré à la fin des années 70 dans un style disco-partouze et s’était récemment recyclé dans la production de chansons électro-sentimentales pour ados pré-pubères, était en effet allongé dans le sable quelques mètres plus haut à l’abri des cocotiers et essayait laborieusement d’exciter un mannequin qui s’appelait Myriana. Elle aussi était allongée, sur le dos, les cuisses légèrement écartées, le slip sur les genoux, les yeux dans le vague et attendait que ça se passe en tirant sur un pétard. (Les mannequins sont souvent les invitées de l’île et offrent une alternative intéressante aux sports nautiques, surtout pour les personnes d’un certain âge).
Le propriétaire, Jean-Charles de la Moissoinière, un richissime homme d’affaire fondateur d’un établissement financier spécialisé dans les raids spéculatifs, venait de décoller arrimé à son parachute -un magnifique parachute doré étincelant au soleil subtropical. Il étrennait un tout nouvel altimètre en platine au poignet droit, fait sur mesure par un grand joailler suisse avec une graduation spéciale, ni en mètres, ni en pieds mais en milliards (de dollars). L’altimètre était gradué jusqu’à 500 milliards (ou 500 pieds).
Robert Guelfi ne lisait pas son journal. : il rêvassait les yeux clos en attendant son tour avec Myriana et fantasmait sur ses beaux seins aux aréoles larges, roses et bien rondes et ses mamelons durs de très jeune femme. Son sexe enflait légèrement à chaque coup de langue qu’il leur donnait tout en percevant inconsciemment le bourdonnement croissant du hors-bord qui s’approchait en tractant le parachute ; Kenny Riviera avait sorti une capote et tentait fiévreusement de l’enfiler sans y mettre de sable avant de trop ramollir ; Jean-Charles de la Moissonière jeta un œil sur son altimètre : il venait de passer la barre des 100 milliards.
Robert Guelfi était virtuellement en train de lécher la cuisse intérieure droite de Myriana quand il entendit une puissante détonation. A peine ouvrit-il les yeux sur l’azur immaculé qu’il sentit quelques gouttes tomber sur son torse et son visage. Il baissa les yeux et vit un genre de mollusque sans coquille posé sur son nombril et des petites taches rouges tout autour. Il se pencha vers l’avant en tendant le bras droit puis se figea en poussant un hurlement de terreur.
Kenny Riviera sortit précipitamment de la cocoteraie en remontant son slip de bain, la verge à moitié gonflée toujours saucissonnée dans son plastique rose. Il vit Guelfi bondir de sa chaise longue et courir vers la cocoteraie en criant et pleurant de frayeur.
Le parachute doré lacéré en son centre, la paroi intérieure couverte d’éclaboussures écarlates, flottait en redescendant doucement au-dessus du lagon, les lanières du harnais pendouillant dans le vide. Jean-Charles de la Moissonière venait d’être pulvérisé. Les deux employés sur le hors-bord regardaient le ciel, pétrifiés.
Robert Guelfi – l’inventeur du célèbre slogan des soutien-gorge Bustex : « Bustex grandit l’homme » – avait vu un œil vitreux de Jean-Charles de la Moissonière le regarder fixement. Il avait en outre reçu une poignée d’autres fragments sur le corps et la tête et, prenant conscience de la situation, avait instantanément perdu toute contenance.
Myriana sortit de la cocoteraie sans son slip, l’air vague. Elle ne s’apercevait même pas qu’elle avait posé le pied sur un morceau d’intestin grêle.