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Billet de blog 25 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Prologue)

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Prologue

Laurent Parfé inspirait naturellement confiance par une immuable assurance de ton et de geste. Toute question épineuse trouvait toujours une réponse étayée et crédible, énoncée clairement d’un seul trait avec un timbre de voix ferme, devançant d’une idée ou deux la pensée de son interlocuteur qui en concluait naturellement avoir à faire à quelqu’un de fort, de très fort. Le truc, c’était que Laurent Parfé ne parlait ainsi qu’aux gens avec qui il était en affaires – et dont il était l’avocat – et qui ne représentaient donc qu’un échantillon extrêmement restreint d’idiosyncrasies fondées, en résumé, sur la maximisation des gains, la haine des impôts – de la solidarité en général – et une estime de soi déraisonnable. Il ingérait donc des quantités de publications destinées à ce seul public qui lui permettaient d’avoir systématiquement l’avantage sur leurs pensées, croyaient-ils les plus personnelles, en en connaissant la véritable origine et en en prévoyant toutes les implications. Pour l’heure, Laurent Parfé se rendait dans la maison de campagne des La Moissonière dans la vallée de Chevreuse. Ce rendez-vous en pleine semaine l’avait étonné, mais la situation particulière résultant de la disparition de Jean-Charles avait plongé Ariana, sa femme, dans un monde juridique complexe qu’elle ignorait en tout point puisqu’elle avait été, pendant les cinq ans précédant son mariage, mannequin pour les plus grandes marques de mode. Comme Laurent avait ses habitudes avec la maison de Saint-Rémy  – il y passait souvent les week-ends ensoleillés dans l’immense piscine du parc avec d’autres invités  – il s’arrêta au bord de la nationale longée par un haut mur d’enceinte en pierre et percé d’une porte en acier dont il avait la clé. Il pénétra dans le parc, passa sous un nain géant de Schmeicher, une sorte de Simplet jaune pisse à pois bleus au froc baissé tenant dans une main son sexe duquel partait une grande parabole en métal, et arriva non loin de la piscine où il reçut une violente décharge électrique qui le jeta à terre et l’immobilisa. Un rouquin en vareuse kaki sortit d’un bosquet, lui saisit les poignets, lui passa les menottes dans le dos puis lui attacha les chevilles avec une longue corde sans qu’il ne pût réagir autrement qu’en hurlant de douleur. Il lui scotcha ensuite abondamment la bouche, détacha les crochets du Taser et le tira par les pieds jusqu’à la piscine où il passa la corde par-dessus le plongeoir de cinq mètres en l’enroulant sur un des montants du garde-corps. Il tira sur la corde et Laurent Parfé monta la tête en bas agité par instant de vains soubresauts de lutte. Il put voir la mosaïque bleue tapissant le fond de la piscine complètement vidée sur laquelle était maladroitement peint : « L’éduquateur social vous souette un bon bin ».

****

Jacques Guyandont avait rendez-vous avec Laurent Parfé à un endroit très inhabituel, même si leurs positions sociales respectives nécessitaient qu’ils se rencontrassent toujours dans des lieux discrets. Jacques Guyandont était secrétaire général de l’Union des Travailleurs, syndicat très contestataire, et, s’il devait toute sa carrière à la lutte pour les droits ouvriers, il y avait bien longtemps qu’il avait pris ses distances avec l’idéal révolutionnaire. Il se voyait comme un manager de la revendication et un gestionnaire du conflit social mais plus du tout comme un guerillero dans le combat pour l’instauration du communisme, depuis qu’il avait lu et compris « L’archipel du goulag » et que nombre d’intellectuels de qualité, dont beaucoup de transfuges de l’est, suivis par un aréopage d’arrivistes sans envergure lui avaient montré, exemples à l’appui, l’extrême dangerosité de la « pureté » des idéaux. Et, à défaut d’horizon pur et idéal, Jacques Guyandont avait fini comme beaucoup de monde par ne plus regarder que son nombril. Il chercha la petite gare désaffectée d’Ancy-le-franc assez longtemps, faute d’adresse précise à entrer dans son GPS et pesta contre Parfé qui s’était contenté jusqu’alors des salons privés des grands restaurants parisiens largement suffisants pour assurer la nécessaire confidentialité de leurs échanges. Enfin, la Peugeot de fonction entra sur le parking désert noyé dans l’obscurité. Il était 8h30 du soir. Il sortit de son auto et se dirigea vers le petit bâtiment fin XIXème en briques à un étage où il était censé rencontrer Parfé pour une négociation de première importance. La porte d’entrée étant fermée, il contourna la gare. Il marchait sur le quai quand il reçut une violente décharge électrique qui le fit s’écrouler de douleur le rendant incapable d’empêcher un grand chauve corpulent légèrement goitreux de l’attacher pieds et poings, d’arracher les crochets du Taser puis de le projeter violemment sur la voie. Il l’allongea alors en travers des rails en le maintenant au sol par deux arceaux en métal qu’il planta profondément dans le ballast. Jacques Guyandot sentit vibrer les rails avant d’être aveuglé quelques dizaines de secondes plus tard par les phares de l’express régional Auxerre-Dijon. Il ferma les yeux.

Laurent Parfé fut retrouvé le crâne fracassé au fond de la piscine vide des La Moissonière par le jardiner. Le gardien, endormi par un gaz soporifique, avait été découvert ligoté et bâillonné quelques minutes avant dans sa petite maison à l’entrée du parc.

L’express régional débouchant d’un virage ne put freiner sur une distance suffisamment courte pour éviter de couper Jacques Guyandot en trois morceaux. Les passagers débarqués dans la petite gare abandonnée purent lire sur le mur : « Le boucher du Vésinet vous souhaite une bonne fin de voyage ».

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