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Billet de blog 26 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Chapitre I)

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I

La taule du juge Kim-Bernay était aussi vétuste que chacun peut l’imaginer. Mais cela n’était rien comparé à son atrocité sonore faite de cris et de claquements de portes continus. Pour m'en protéger, je portais tout le temps un casque audio sur les oreilles et passais ainsi des journées stupides à subir sans réfléchir, le volume à fond, les ressassements continus d’informations apparaissant, disparaissant au fur et à mesure de l’écoulement infini de l’actualité. Je n’en serais pas sorti moins instruit si j’avais regardé passer un fleuve du haut d’un pont mais évidemment incommensurablement moins abruti.

Je fis une première sortie avec le juge et quelques flics à l’agence bancaire pour explorer mon coffre dans lequel on retrouva bien les 35000 euros et le paquet de documents confiés par Etiennette. La prise le mit en confiance et, comme il aimait bien m’avoir sous la main pour des petites convocs au débotté, il me fit garder en préventive. En échange de quoi, je passai avec lui de longues heures d’audition pendant lesquelles il me raconta à peu près tout ce qu’il avait trouvé, au plus grand dam de mon avocat que je finis par exempter de ce calvaire chronophage. Il avait fait éplucher l’ensemble de la copropriété des Pyramides par des inspecteurs de la brigade financière qui avaient bâti avec une efficacité impressionnante des graphiques en camembert détaillant la répartition des lots des uns et des autres. Ils avaient analysé l’actionnariat des sociétés immobilières en remontant un nombre important d’hommes de paille pour tomber sur des morceaux de choix comme Miroslav Lebrun (le frère de l’autre), Laurent Parfé ou Jacques Guyandot. Les documents de cession montraient un circuit fermé de propriétaires débutant par la mairie qui vendait à une société immobilière qui vendait à un particulier qui cédait son titre à la General Banking Consolidated qui revendait à la mairie qui revendait à une société immobilière et ainsi de suite… Pour l’instant, même si ça sentait l’arnaque, il n’y avait rien d’illégal dans ces opérations en boucles.

Lorsque j’entendis les nouvelles presque simultanées des morts de Guyandot et Parfé, je sentis qu’une nouvelle secousse ferait bientôt trembler la République. Le ministre Gluant ressortit en effet de son tube pour l’interview du petit matin sur la chaine de radio publique. En substance, la justice n’avançait pas, l’enquête patinait et se perdait dans des détails financiers sans importance et surtout sans lien avec les meurtriers. Il s’agissait d’une nébuleuse terroriste, martela-t-il, la France était en danger, le pacte entre les citoyens était menacé, des mesures d’urgence devraient nécessairement être prises. le gang des camionnettes grises avait fondu dans le décor muraille des Coquelicots, comme l’agent de la mort lente dans une bouche d’égout, oublié, rectifié, enterré, kaput, mort, bon pour le rayon rogaton au neuvième étage des Galeries Lafayotte. Maintenant c’était la république en danger, au garde-à-vous citoyens, je ne veux plus voir qu’une tête ! Je vis un maton se pencher sur moi et écarter un des écouteurs : on m’annonçait une visite au parloir.

Joie, c’était Cousine que je n’avais pas vue depuis plus d’une semaine. Elle avait bien récupéré de la perte de son deuxième fiancé en un mois, ce qui démontrait une grande capacité à allier je-m’en-foutisme et romantisme coûteux. Elle s’était déguisée cette fois en business-woman sexy, tailleur strict gris, cheveux en arrière avec une queue de cheval descendant jusqu’aux épaules, air soucieux et concentré qui lui donnait un délicieux petit air boudeur. Au commissariat de Versailles, elle les avait tous chavirés en jouant la veuve éplorée à poils dans son fourreau scintillant rafistolé, si bien que les flics l’avaient raccompagnée à l’hôtel dans la voiture du patron moins d’une heure après son arrivée en panier à salade, même si elle avait eu du mal après-coup à les faire sortir de sa suite. Depuis, elle attendait des nouvelles de Kenny en cherchant la fortune de Beauvillain tout en dépensant ce qu’elle avait déjà pu lui siphonner. Mais la seule question qui me taraudait depuis une semaine c’était le pourquoi : pourquoi s’être fiancé à cet individu interlope et malsain, vieux et indubitablement laid ? « Mais parce qu’il me l’a demandé » me répondit-elle avec un grand naturel. Puis elle promit de venir me chercher dès que je serais libéré avant qu’elle n’embrasse son index et le colle à la vitre blindée en signe d’adieu. « Ton nouveau look est épouvantable » conclut-elle avec fraicheur.

Le juge me convoqua dans l’après-midi. Le procureur avait émis une requête en annulation de certaines de ses ordonnances concernant le volet financier. Il n’était pas sûr de gagner et devrait peut-être abandonner cette partie des recherches pour se consacrer uniquement aux faits et aux pièces matérielles. Ensuite, il se mit à écrire sur une feuille (ça devenait une manie au Quai des Orfèvres) : « JE VAIS DEMANDER VOTRE LIBERATION – VOUS ENQUETEREZ DEHORS POUR MOI. J’AI PHOTOCOPIE TOUT LE DOSSIER ». Fatalitas. De toute façon, à quoi cela aurait-il servi de lui dire non ? J’acquiesçai très vaguement. « VOUS TROUVEREZ LE DOSSIER DANS UNE BOITE A LETTRES – 11 RUE DE NAVARRE CODE 6895 – APPRENEZ LE PAR CŒUR – C’EST LA QUE NOUS ECHANGERONS ». En plus, ils avaient tous les mêmes lectures, j’avais l’impression de rêver. Puis il brûla les papiers dans le cendrier et écrivit sur une nouvelle feuille : « INSCRIVEZ L’ADRESSE POUR VERIFICATION ».

Je m’exécutai, il approuva, je sortis.

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