Où le narrateur découvre une caverne digne de notre époque.
II
Cousine tint sa promesse, la Barbie-car attendait devant le porche de la prison de la Santé à l’heure précise de ma sortie. J’étais impressionné par tant de ponctualité. Elle m’annonça qu’on partait à la mer pour un séminaire de réflexion et de relaxation, je suggérai que nous aurions pu le faire plus discrètement, elle me rétorqua que je l’avais obligée à abandonner le fourgon quelques jours plus tôt et que de toute façon ça n’aurait pas collé avec le standing du Mort-Dandy à Daubeville où il fallait être « claaaaasse » ou n’être pas. D’ailleurs, en parlant de cela, elle me fit cruellement remarquer que mes fringues étaient non seulement fripées mais encore complètement passées (lavage malheureux à 90°). Elle s’arrêta donc pour m’habiller comme elle dans un style prétentieux mais décontract', week-end « quoaaaaaaa » (elle avait assimilé le style Mort-Dandy par une exceptionnelle faculté d’adaptation et d’anticipation).
Et nous prîmes presto l’A13 à bord de notre bolide rose. Je me faisais assez mal à l’idée de jouer à Ken-golfeur ou à Ken-cavalier au cœur d’un des centres mondiaux du snobisme dominical. En outre, je n’imaginais pas ne pas porter le candélabre à un moment ou un autre et envisageai donc avec une certaine crainte le comportement à adopter par Ken-golfeur-cocu au milieu de cette faune artificielle et ricaneuse prête à immoler par les sarcasmes le premier gigolo déchu par sa cavalière. Bref, je risquais de mal le supporter et de finir comme d’habitude tout déconfit et mortifié dans un piteux autocar de retraite. Mais la corvette s’arrêtait déjà devant le Mort-Dandy.
Nous partageâmes la même chambre à deux lits entièrement tapissée avec des motifs dans le style toile de Jouy violets rappelés sur les couvre-lits et les fauteuils directoire. Une moquette chargée de motifs psychédéliques parachevait l’impression d’étouffer à l’intérieur d’une vieille boîte à ouvrages. Heureusement, Cousine avait prévu un programme encore plus chargé qui finalement excluait toute relaxation et réflexion puisqu’il s’agissait pour l’essentiel d’aller visiter de fond en comble la vaste demeure normande de Clébard afin d’y trouver quelque chose permettant de mettre la main sur ses coffres pleins de cash. Nous déjeunâmes d’une omelette aux truffes dans le restaurant « au cadre d’une rare élégance, clair et harmonieux » comme le disait sans rire le menu puis prîmes la route de la côte vers la villa de Kleber Beauvillain pour un après-midi farfouille dans les affaires perso d’un technocrate corrompu. Je lui demandai tout de même si elle ne désirait plus le retrouver : « Si, bien sûr, mais il ne tient qu’à lui de me donner des nouvelles… à moins qu’il ne soit déjà mort ». J’avais tout de même le mauvais pressentiment de retourner avec la sobriété d’un défilé de majorettes dans la gueule du loup en redoutant que celui-ci ne finisse par nous croquer tout cru. Par une dérisoire mesure de discrétion, Cousine gara la voiture dans un chemin de traverse à une centaine de mètres du parc de la demeure néo-gothique de Clébard-le-paon. Elle se changea pour une salopette et des bottes en caoutchouc Burberry et nous utilisâmes une petite porte latérale pour entrer sans être vus dans l’immense jardin donnant sur l’estuaire de la seine.
La maison n’était pas gardée, l’alarme était enclenchée mais Cousine disposait de tous les codes et des clés nécessaires à une intrusion sans tintouin. Nous constatâmes dès le hall au majestueux escalier d’acajou que d’autres avaient déjà eu la même idée, chaque pièce ayant été systématiquement visitée, tableaux décrochés, tiroirs enlevés et retournés, coussins et matelas éventrés, tapis et moquettes roulés… Finalement, le travail se présentait comme devant être moins long que prévu : il nous suffirait de fouiller là où nos prédécesseurs avaient omis de le faire. Je laissai Cousine à la manœuvre puisqu’elle avait l’avantage d’une meilleure connaissance de la psychologie des Clébard ce qui devait lui permettre d’envisager plus aisément où il avait pu imaginer dissimuler ses précieux secrets. Elle était assise sur la carcasse du grand canapé débarrassée de ses coussins, le menton posé sur son poing, à regarder la cheminée en marbre salie par le ramonage sauvage de nos devanciers quand je tombai sur un exemplaire de l’opuscule « le dealer et la garde à vue » (collection Qu’est-ce t’en sait ?) trainant à terre suite au déblayage brutal des étagères murales. Je l’ouvris par hasard au chapitre « cacher sa dope » où il était stipulé que les fouilles n’étant que très rarement pratiquées à cet endroit, le conduit anal offrait « une cavité secrète et portable digne d’intérêt pour les petites quantités d’héroïne et de cocaïne ». Suivaient d’autres recommandations quant au conditionnement à utiliser et un schéma détaillé en coupe dudit conduit avec les capsules de poudre qui se suivaient jusqu’à l’intestin comme des wagonnets dans une galerie de mine abrupte. Nous restâmes ainsi quelques longues minutes dans un silence morne à peine souillé par le tic-tic d’une fausse horloge Empire à pile. Par quelle association d’idée en arrivai-je à me rappeler que les nains géants de Schmeicher avaient tous les fesses molles ? Cela reste un mystère. En tout état de cause, je finis par proposer l’idée saugrenue d’aller visiter le cul du nain, ce que Cousine acquiesça comme étant compatible avec certaines obsessions de son ex-fiancé (par pudeur, je ne lui demandai pas de détailler).
Nous allâmes donc planter un escabeau entre les jambes de la statue géante, je le gravis et fourrai ma tête entre les deux globes bleus en latex sortant du froc baissé en acier peint. L’atmosphère y était relativement irrespirable mais j’atteignis une cavité plus large après avoir progressé d’une dizaine de centimètres la tête comprimée dans le plastique mou. Je dus recommencer l’opération avec un bras en avant muni d’une lampe de poche pour constater que la cavité était tapissée de pochettes cartonnées multicolores que j'extrayai une à une sous ses cris de triomphe.