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Billet de blog 29 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Chapitre IV)

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Où le narrateur voit voler les feuilles de Clébard sous le ciel automnal.

IV


Nous n’avions pas vu la nuit tomber sur Crabourg. Nous laissâmes la chambre dans un désordre indescriptible, tous les contenus des pochettes étaient étalés par terre ou sur le lit, et nous descendîmes au bar de l’hôtel pour nous détendre et boire un verre.
C’est là, pendant que Cousine fantasmait à mi-voix sur le contenu des coffres-forts, que Claudio, le « philosophe-hardeur » comme il aimait qu’on l’appelle, nous mit le grappin dessus. Il venait écrire ici, dans la contemplation maritime, ses odes à la perfection du monde tel qu’il est (surtout s’il est filmé). Il nous parla ensuite avec une certaine inquiétude des manifestations monstres qui s’étaient déclenchées spontanément dans tout le pays, avec comme prétexte la mort atroce de Guyandot… Mais les gens étaient mécontents de tout, de la crise, de leurs dirigeants, de la mondialisation, du terrorisme… Claudio, lui, avait l’impression de n’être plus vraiment écouté, à peine le regardait-on encore dans ses meilleures scènes porno.
Il nous tint la jambe avec son spleen jusqu’à nous proposer une petite partie à trois dans sa chambre, avec juste une mini-caméra haute définition -il nous précisa d’un air gourmand et vicelard qu’il réservait toujours la chambre Marcel Prouss « pour l’ambiance ». Cousine lui rétorqua qu’elle détestait les partouzes petite-bourgeoises entre couples genre « mes vacances au cap d’Agde » avec à la clé un film amateur flou et tremblotant qui finirait en téléchargement gratuit sur internet. En fait, Claudio n’avait pas un radis, et Cousine, le sexe pour l’art, elle s’en foutait un peu.
La conversation commençait à s’enfoncer lentement dans la remémoration de l’enlèvement de Kenny Riviera quand je découvris à travers la baie vitrée la voiture blanche garée sur le parking de l’hôtel. Je fis signe à Cousine qu’il était grand temps de dire adieu et d’aller ramasser ce qu’on pourrait dans la chambre car le ciel aurait tendance à se couvrir bien vite. Nous nous dépêchâmes de remonter et de fourrer les papiers dans les pochettes avec une totale précipitation, j’étais certain que nous serions localisés dans les quelques minutes à venir, c’était peut-être même déjà le cas. On mit tout en vrac dans le sac plastique et on prit les escaliers pour plus de discrétion. Arrivés au rez-de-chaussée, je glissai un œil dans le hall : vide.
Nous étions en train traverser le lobby avec le plus grand naturel possible quand l’ascenseur s’ouvrit sur deux hommes en gabardine : je sus que c’était eux, ils surent que c’était nous. Je tirai Cousine par la main et nous sortîmes sur la digue du front de mer battue par une forte brise, éclairée comme en plein jour par des lampadaires.
J’étais un sportif médiocre, je ne me fis pas d’illusions sur mes chances de victoire aux foulées de Crabourg par vent debout. Cousine avait d’ailleurs immédiatement pris une belle avance et, quand elle se retourna pour constater que nos poursuivants m’avaient presque rejoint, elle eut l’idée pertinente de disperser par poignées quelques liasses de papiers intimes de Clébard. Comme les feuilles s’envolaient vers la plage, l’un des deux hommes dut abandonner sa poursuite pour essayer de les récupérer tandis que l’autre continuait sa course. Il me dépassa allègrement sans même y prêter la moindre attention ce qui eut le don de me vexer et, dans un extatique effort de toute ma volonté, j’arrivai juste à le rattraper pour lui glisser un croc-en-jambe qui le fit s’étaler violemment sur les dalles en granit gris.
Nous retrouvâmes la Barbie-car au parking et sortîmes à toute vitesse en brisant la barrière. Direction Paris, que nous atteignîmes en un peu plus d’une heure. On abandonna la Corvette dans une avenue fréquentée de la banlieue nord contre un taxi pour le centre où je convainquis Cousine d’abandonner sa chambre au Maurice IV -cela ne me semblait pas être une bonne idée pour la nuit-au profit d’un hôtel moins flamboyant. Elle accepta en dernier ressort une suite au Cheraphone, 25ème étage.
Enfin, vers 21h, nous commençâmes à trier les papiers enfournés précipitamment dans le sac plastique pour nous rendre assez vite compte que Cousine n’avait pas jeté que des poèmes ou des souvenirs de Clébard au vent mauvais de l’automne crabourgeois, mais aussi quelques comptes bancaires et, plus douloureux pour elle, quelques coffiots bien prometteurs.

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