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Billet de blog 31 janvier 2012

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Les paons de Tocardville (3) (Chapitre VI)

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Où le narrateur perd un rêve et peut de nouveau constater sa méforme physique absolument olympique.

VI


Je récupérai doucement des atroces picotements ressentis au bas du dos et attendis que les CRS fussent repassés dans l’autre sens avant de sortir. Redoutant de prendre un pavé, une clé à molette ou une grenade sur le crâne, je revins en rasant les murs puis par différents bus jusqu’au 25ème étage du Cheraphone. Cousine préparait sa grande attaque des coffres-forts pour le lendemain, son casse de Nice à elle, toujours sans haine, sans violence et sans armes mais aussi sans pieds de biches, sans chalumeaux, sans égouts et à Paris.
Car il ne lui restait plus qu’à imiter la signature de Beauvillain sur les formulaires de procuration et elle pourrait se présenter le lendemain avec son cabas à garnir de gros billets vert et jaune de 100 et 200 euros. Je la trouvai cependant exagérément optimiste, ne doutant pas qu’un nombre d’évènements désagréables et inattendus viendraient inévitablement perturber les réjouissances.
J’allumai la télé qui ne montrait plus que des images d’émeutes et de manifestations ; la confusion gagnait toute la province et Borislav Lebrun devait parler le soir même au pays.
–Ce soir on pourra pas l’écouter, on va faire un tour à l’Aquatemple dit-elle comme si elle m’avait parlé d’aller faire du ski cet hiver à Méjeuve.
Et, se rendant compte du choc qu’elle venait de provoquer, elle crut devoir argumenter :
–C’était presque mon fiancé, il était majoritaire, il faut bien que j’assure l’intérim pour l’inauguration. N’oublie pas ton maillot de bain, mais les serviettes sont fournies.
La seule perspective de revoir Cousine dans son maillot de bain en polyamide rose me convainquit d’entreprendre cette folie suicidaire : au moins, j’emporterais dans la tombe une dernière image idéale de ce cloaque insondable.
Nous empruntâmes sa dernière trouvaille, un antique Land-Rover vert kaki tellement rustique qu’il lui fallait les deux mains pour passer chaque vitesse et dont la direction était tellement dure qu’à chaque tour de volant elle poussait des petits gémissements de tenniswoman hystérique. Je n’eus pas d’explication rationnelle à ce nouveau choix, mais j’en compris l’aspect subliminal : elle avait sélectionné la voiture de GI Joe, comme un appel farouche à convoler avec un aventurier viril, évidemment pas moi (d’abord je n’ai pas le permis et puis je suis de la famille).
Nous nous garâmes donc pour la énième fois aux Pyramides pour aller fêter la nouvelle réouverture de ce concept maudit ou foireux, selon le point de vue. Le hall de Kheops était peut-être encore plus sordide décoré avec des guirlandes de fleurs en papier très cheap et quelques lampions de fête foraine sur un fond sonore techno à la rythmique tout juste binaire : ça augurait mal de la suite. C’était une soirée gratuite dans la limite des places disponibles, c’est-à-dire que toute la faune habituelle de maquereaux, de putes, de clients et de voyeurs fauchés avait rappliqué dare-dard pour s’en repayer une bonne tranche gratos dans les alcôves ou dans les cabines de sauna, de hammam et les vestiaires.
Ayant perdu Cousine dès la phase de déshabillage pratiquée dans des zones soi-disant distinctes, je montai directement au dernier étage par l’ascenseur. La piscine ressemblait à un vaste jacuzzi dans lequel batifolaient déjà quelques sirènes stipendiables en bikinis rikiki. Elles gloussèrent à ma vue, certaines soulevant subrepticement leur soutien-gorge pour dévoiler le reste de leurs gros seins siliconés tout en braillant des chiffres avec un accent slave. Evidemment, au-dessus de 16 ans, il était inenvisageable d’être un client normal. J’empruntai le toboggan vers l’étage inférieur en me demandant si l’heure était vraiment à la gaudriole minutée avec un corps de location dans une cabine moisie d’à peine deux mètres carré. A l’étage suivant, la piscine était plus grande et entourée de portes vitrées donnant sur des douches à jets multiples et des cabines de hammam et de sauna. A part une fille penchée sur un problème érectile, il n’y avait pas grand-chose à signaler. Ainsi de suite, je parcourus les sept étages suivants en toboggan pour terminer dans la grande piscine du premier niveau, presque complètement vide car réservée aux clients pervers après 20h, les nageurs. Je fis deux longueurs de bassin et bus quelques tasses avant de m’arrêter, exténué, quand je vis Cousine en bikini rose sortir par une porte interdite au public avec une femme d’une grosse cinquantaine d’années au visage fané et vêtue d’un jogging bleu électrique « Aquatemple ». Sa tête me disait quelque chose. Je fis un signe de la main, Cousine me répondit en s’approchant et me présenta Eliane Chauveau.
Eliane Chauveau était la gérante de fait de l’établissement depuis la disparition brutale et spectaculaire de Kenny Riviera, elle était aussi la fille dénudée à la bouche provocante de « May I introduce something in you, while the others are introducing me ». En la voyant, je sus que je ne rêverais plus jamais d’elle de la même manière. Je sus aussi que Cousine était une sacrée garce de venir exhiber son corps gracile aux formes parfaites chez sa rivale abandonnée pour obsolescence somatique, condamnée à l’exil charnel dans une bourka en molleton. Je sus enfin que nous ne sortirions pas vivants d’ici, à moins d’avoir beaucoup de chance et de courir très vite.
Elle parla de Grabouillet de qui elle restait sans nouvelles, elle nous invita à venir boire un verre dans son bureau de sa voix fatiguée par l’alcool et la cigarette, je lui répondis en bâillant que nous étions exténués et que nous allions rentrer. En retournant aux vestiaires, je murmurai à Cousine une marche à suivre pour tenter d’en sortir vivant : prendre nos affaires dans la penderie et nous diriger l’air de rien vers la cabine d’habillage la plus proche de la sortie ; profiter de ce laps de temps pour extirper discrètement l’essentiel de nos poches (portefeuille, valeurs, bijoux…) et les serrer fort dans une main ; dépasser la dernière cabine comme si on cherchait quelque chose puis tout lâcher et courir comme des dératés jusqu’au Land Rover. Lorsque je me mis à dévaler le grand escalier en slip de bain, Cousine était encore à ma hauteur. Elle me dépassa dès le franchissement des grandes portes vitrées de la Pyramide et je pus admirer son fessier rond et ferme en mouvement, sa culotte rose en polyamide un peu trop serrée découvrant à chaque enjambée un plus de sa chair d’albâtre contrastant avec le haut de sa jambe bronzée et qui me déclencha -bien que la situation ne s’y prêtât guère-une légère érection. Alors que nous étions engagés depuis quelques secondes sur l’esplanade, j’entendis derrière moi les pas de deux poursuivants. Un instant, je rêvai que Cousine enlèverait son soutien-gorge pour faire diversion, puis son slip mais deux claquements ressemblant à des coups de feu me ramenèrent à une réalité prosaïque. Heureusement elle démarrait déjà le vieux 4x4 et, dans une manœuvre audacieuse, franchit un haut trottoir pour venir dans ma direction. Je me jetai dans la voiture dont elle avait ouvert la portière passager et nous fonçâmes droit sur nos poursuivants, les mêmes qu’à Crabourg, qui plongèrent sur les pavés pour nous éviter. Nous traversâmes toute l’esplanade à vitesse maximum et dûmes heurter une voiture qui entravait notre passage avant de disparaître dans la nuit noire.

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