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Billet de blog 28 mars 2022

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« Jusqu’à mon dernier souffle, j’égrènerai les noms des coupables »

Chacun désormais connaît la liste par cœur : voilà ceux qui nous ont couverts de déshonneur, ceux auxquels les Hongrois doivent leur réputation de peuple égoïste et glacial. Je n’oublierai jamais et ne pardonnerai jamais à ces hommes et à ces femmes de la honte la manière dont ils ont agi en ces temps-là. Même dans plusieurs décennies, si je suis encore en vie, je continuerai à me souvenir. Qui sait s’il n’existera pas un jour un tribunal pour juger les inhumains. Par Árpád Schilling, metteur en scène hongrois.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Note de la traductrice

Dès que j'ai lu ce texte, j’ai absolument voulu le traduire. Il est dur, radical, sans nuances – très éloigné, en termes de registre et de posture, de ce que j’ai l’habitude de lire ou d’écrire. En temps normal, j’essaie de m’intéresser à ce qui permet de penser les contradictions, les paradoxes, les zones grises. Toutefois, je ne suis pas sûre que nous soyons « en temps normal ». Le réel s’est radicalisé et la radicalité d'Árpád Schilling donne à voir, sous la forme d’une colère épurée et intransigeante, quelque chose d’essentiel sur ce qui se joue actuellement en Hongrie : ces dernières semaines, entre le 24 février et aujourd’hui, une ligne rouge morale a été franchie par le pouvoir en place. Je ne peux ici détailler ce que la rhétorique actuelle du gouvernement hongrois a d’intolérable, mais je peux témoigner que j’en ressens une honte infinie. Que dans son texte, Schilling rende cette honte à ses légitimes propriétaires, ceux qui l’ont causée, voilà ce qui a motivé cette traduction.

Nina Yargekov

*****

J’ai vu en rêve une colonne de béton, on y avait gravé les noms de ceux qui acclamaient Poutine et l'armée russe, qui maudissaient un peuple défendant sa patrie, qui abandonnaient les réfugiés à leur sort. Ils ne leur proposaient ni toit, ni repas, ni interprète, ni médecin. Et ce n’était pas là leur premier manquement, dans le passé non plus, les propriétaires des noms n’avaient jamais porté secours à personne, pourtant ils avaient le pouvoir, l’argent, les hommes et les moyens. Mais non. Jamais.

En vérité, il ne s’agissait pas d’une colonne, plutôt d’un genre de mur, il se dressait place du Parlement à Budapest, et nuit et jour les gens s’y relayaient pour y graver encore et encore de nouveaux noms : ceux des auxiliaires des assassins, des menteurs, des féroces. Au sommet de la liste, le premier ministre, suivi des ministres, des secrétaires d’État, des conseillers, des communicants, de l’ensemble des partisans et bénéficiaires de la cruelle ligne politique. Une bien jolie assemblée, tous ces noms se côtoyant et s’alignant. 

Parfois, le mur se retrouvait maculé de peinture rouge, les propriétaires des noms en effet avaient du sang collé aux mains. Les bénévoles se démenaient pour aider, si nécessaire au péril de leur vie, parce que les bénévoles sont comme ça. Pendant ce temps, le pouvoir rampait et déversait sa propagande. 

À la fin, le mur entier est recouvert de noms, et quand le danger se dissipe, on renverse le coupable gouvernement ; les noms deviennent maudits. Chacun désormais connaît la liste par cœur : voilà ceux qui nous ont couverts de déshonneur, ceux auxquels les Hongrois doivent leur réputation de peuple égoïste et glacial. Où qu’ils aillent, les propriétaires des noms se heurtent à la réprobation. Les gens dans la rue ne les saluent pas, se détournent. Finis les passe-droits, les médailles, les largesses. Une fidèle amie toutefois les accompagne : la honte. 

Je n’oublierai jamais et ne pardonnerai jamais à ces hommes et à ces femmes de la honte la manière dont ils ont agi en ces temps-là. Même dans plusieurs décennies, si je suis encore en vie, je continuerai à me souvenir, et jusqu’à mon dernier souffle j’égrènerai sans relâche les noms des coupables. Qui sait s’il n’existera pas un jour un tribunal pour juger les inhumains. 

Árpád Schilling

Traduction Nina Yargekov

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