Elle aussi va bientôt revoir ses enfants. Cette femme de 50 ans ne les a plus serrés dans ses bras depuis 12 ans maintenant. Après avoir été violée par des membres de la garde présidentielle lors d’une manifestation, elle avait porté plainte. Mal lui en a pris. L'amie qui l'accompagnait et avait subi les mêmes sévices a été tuée. Fanta était menacée de mort. Elle a confié ses cinq enfants à sa sœur. La plus petite de ses filles avait à peine 4 ans. Elle a quitté la Guinée (Conakry) avec l’aide d’un passeur et d’un faux passeport, après avoir été délestée de toutes ses économies. Elle a atterri à Bruxelles, la capitale d’un pays dont elle ne connaissait même pas l’existence. Elle était illettrée et ne parlait pas le français…
Je faisais partie de l'organisation SOS Migrants. Dans ce cadre, j’ai collaboré pour faciliter l’occupation d’une ancienne maison de repos en instance de démolition. Ils étaient 250 migrants, en majorité des guinéens, survivant dans un dénuement inouï. Comme beaucoup d'autres, ma femme et moi avons vidé nos armoires pour leur apporter des couvertures, des vêtements, de la nourriture. Je les ai visités régulièrement pour effectuer des réparations et leur apporter de l’alimentation. Les aider aussi pour leurs papiers. Un jour, Fanta, une grande femme noire avec un sourire magnifique, m’a abordé : « Tu ne me dis plus bonjour ? Moi, je pense à toi tous les soirs ! » Elle a remarqué mon interrogation. Elle m’a expliqué alors que je lui avais donné une couverture bleue en lui recommandant d’en prendre soin parce qu’elle m’avait suivi depuis mon enfance! Elle dormait avec. C’est devenu son objet fétiche.
Depuis lors, elle fait partie de notre famille. Elle participe à nos fêtes d’anniversaire, à nos diners. Extraordinairement résiliente, elle a appris le français et nos coutumes, elle a suivi des cours de couture et d’informatique. Je l’ai recommandée à un ami qui cherchait une accompagnante pour sa maman très âgée. Fanta a fait merveille, au point d’être maintenant très demandée par d'autres familles.
Elle vient, enfin !, de recevoir ses papiers de réfugiée politique. Elle va suivre des cours d’accompagnante de personnes âgées. Et surtout, elle va pouvoir retourner en Afrique, dans un pays voisin de la Guinée (elle ne pourra jamais y retourner) pour passer un mois avec ses enfants cet été.
J’en ai les larmes aux yeux.