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Billet de blog 1 août 2013

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Les intérêts nationaux menacent l’efficacité de l’Union bancaire européenne

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Article publié pour Génération 112 en décembre 2012 :

Les intérêts nationaux menacent l’efficacité de l’Union bancaire européenne

Après les laborieuses négociations sur le budget de l’Union européenne, le projet de réforme bancaire, qui a débouché sur un premier accord des ministres des finances européens le 13 décembre, risque de nouveau de mettre en avant les grandes divisions entre les Etats membres.

L’entente semble donc parfaite, serait-on tenté de dire au vu de l’unanimité affichée sur l’accord historique obtenu le 13 décembre 2012 sur la réforme menant à l’Union bancaire européenne. Trêve des confiseurs oblige, il fallait sans doute calmer le jeu et montrer une unité de façade avant le Conseil du 13 et 14 décembre. Un premier pas (encourageant ?) vers une union bancaire européenne vient donc d’être atteint. Les intérêts britanniques sont respectés, la France se réjouit d’une nouvelle avancée européenne, de bon augure pour la sortie de crise, et l’Allemagne, qui aurait lâché du leste, se satisfait d’un projet de réforme ne touchant pas son réseau de banques régionales. Après presque six mois de divisions, depuis l’annonce au sommet européen de juin d’un accord à trouver sur l’Union bancaire avant fin 2012, il y a comme un malaise. Il s’agit sans conteste d’un premier pas et d’un soulagement par rapport à la situation de blocage de ces derniers mois mais est-ce pour autant une avancée suffisante ? 
  
VICTOIRE POLITIQUE POUR TOUT LE MONDE JUSQU’A NOUVEL ORDRE 
  
« L’Europe montre capacité à agir », déclarait ce matin Michel Barnier, Commissaire au marché intérieur chargé du suivi de la réforme bancaire.  Le temps était en effet compté pour le Conseil Européen, du 14 décembre à  Bruxelles, et qui devaient avancer sur une plus grande intégration économique. Depuis octobre 2012, le projet de réforme bancaire européenne se précisait mais risquait d’être édulcoré face aux divisions des Etats et aux réticences de certains groupes bancaires. Les 12 heures de négociations dans la nuit du 12 au 13 ont ainsi débouchés sur une première avancée :150 à 200 banques sur plus de 6200, détenant au moins 30 milliards d’euros d’actifs ou 20 % du PIB national, seront concernées par ce projet de réforme. Les autres banques, l’important réseau de banques régionales allemandes en particulier, resteront dans le giron de la supervision nationale. Il est ainsi  difficile de parler d’un accord historique lorsqu’on constate également que la République Tchèque, la Suède et le Royaume-Uni refusent à terme d’intégrer l’Union bancaire. Par ailleurs s’agissant de la gouvernance de l’autorité de supervision les pays non-membres de la zone euro et les trois pays en dehors de l’Union bancaire pourront avoir une influence sur les décisions de réformes s’appliquant aux banques européennes. Un système de double majorité fera, en effet, que les décisions votées devront également être validés par une majorité de pays hors-zone euro. S’agissant du mécanisme de recapitalisation des banques (environ 500 milliards d’euros) en cas de défaut il ne pourra être appliqué qu’à partir de mars 2014. L’ensemble de l’accord doit encore être validé par le Bundestag allemand et le Parlement européen. 
  
UN RAPPORT DE BASE PRECONISANT PLUS DE RESPONSABILITE ET DE TRANSPARENCE POUR LES BANQUES 
  
A la base le projet d’Union bancaire semblait se concrétiser avec le rapport d’un groupe d’experts de haut niveau présidé par Erkki Liikanen, Gouverneur de la Banque de Finlande, remis le 2 octobre dernier à la Commission européenne. A la demande duCommissaire au Marché intérieur et aux services, Michel Barnier, ce rapport contenait des propositions de réformes structurelles du secteur bancaire européen. Certaines mesures constituaient une avancée claire pour la stabilisation du système financier européen. Après la réglementation Volcker aux Etats-Unis et le rapport Vickers au Royaume-Uni, l’Union européenne tentait de se doter d’une base législative pour la réglementation de son système bancaire. 
L’une des mesures phares des experts du groupe Liikanen est celle de l’encadrement des activités de marchés à hauts risques (activités de produits dérivés risqués, financement de fonds spéculatifs, véhicules d’investissement hors bilan… etc.).  Elle préconise de limiter ces activités à un seuil entre 15% et 25% (encore à définir) des actifs totaux détenus par l’établissement bancaire ou à un seuil de 100 milliards d’euros d’actifs. En cas de dépassement du seuil, les activités de marché à hauts risques seraient isolées dans une structure juridique dédiée qui ne serait pas en principe recapitalisée par le contribuable en cas de défaut.  L’aléa moral décrié lors du sauvetage bancaire par les Etats (bail out) en 2008-2009 ne pourrait théoriquement pas se reproduire et les dépôts des particuliers seraient mieux protégés. En cas de « bail out »  certaines banques ne pourraient plus bénéficier de manière opaque, de plus d’aide selon leur taille et leur influence dans le financement public et privé (too big too fail). Dans un communiqué deFinance Watch, association sans but lucratif dont la mission est de remettre la finance au service de la société, Thierry Philipponat, secrétaire général, considérait ainsi que ce rapport était « une importante étape vers la résolution des distorsions des soutiens publics et de l’aléa moral dans le secteur bancaire ». Le fait que le coût du défaut puisse incomber en partie aux banques peut être vu comme la garantie d’une plus grande justice et solidarité au sein du système bancaire européen. 
  
Dans le rapport Liikanen, d’autres mesures préconisaient plus de transparence et de contrôle de l’activité bancaire. Il était par exemple recommandé d’encadrer le montant des bonus, d’assurer que le conseil d’administration d’une banque ait les moyens de comprendre ses activités complexes, d’inciter les banques à mieux communiquer sur les prises de risques ou encore à donner plus de pouvoir aux régulateurs pour sanctionner.  
  
LE PLUS PETIT DENOMINATEUR COMMUN 
  
Cependant dès sa finalisation le rapport Liikanen a été soumis à une période de consultation jusqu’à mi-novembre. Très vite, les groupes bancaires invités à mettre en avant leur point de vue ont tempéré les mesures préconisées. Même limitée, la séparation de l’activité de banque de dépôt et des banques d’affaires inquiètent en effet certains lobbies bancaires et notamment la Fédération Bancaire Françaises (FBF) qui compte beaucoup de banques dites « universelles ». La FBF indiquait ainsi dans un communiqué qu’il  « faudra éviter des mesures ayant pour conséquence une hausse disproportionnée des coûts, voire de la disparition de certaines activités de marché utiles à l’économie, ce qui nuirait à la compétitivité de l’économie donc à la croissance et à l’emploi ». La menace à peine voilée d’une réduction du financement de l’activité montre clairement que le combat ne faisait que commencer.  Les divisions entre les Etats sont ensuite apparues au grand jour.  Quelle sera l’autorité de supervision ? A quelles banques s’appliquera la réforme ? Comment préserver les intérêts nationaux de pays comme le Royaume-Uni, la Suède, la France et l’Allemagne ? 
  
L’accord ainsi obtenu le 13 décembre laisse trop d’incertitudes sur l’efficacité de l’autorité de supervision bancaire et permet à trois pays d’avoir une influence tout en restant hors-jeu. Comme le déclarait récemment le ministre des finances allemand Wolfgang Schaüble « on ne peut pas promettre quelque chose qu’on ne pourra pas mettre en place ». L’heure est ainsi, pour l’instant, au compromis vers le plus petit dénominateur commun. 

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