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Billet de blog 27 mars 2013

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Chypre : Un inquiétant déficit de communication européen

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On commençait à se dire que l’ennui s’était emparé des commentateurs de l’actualité européenne. Avec le calme apparent retrouvé par rapport à ces trois dernières années sur le front des marchés financiers, malgré la hausse record du chômage, les réalisations de l’UE semblaient intéresser de moins en moins à une période pourtant clé.

En dehors du Parlement européen difficile d’intéresser les citoyens. En effet, les négociations du budget pluriannuel 2014-2020, les questions sur la mise en place de l’union bancaire et les prémices de la campagne des élections européennes, qui auront lieu fin mai 2014, n’ont jusqu’à présent pas vraiment données lieues à suffisamment de débats politiques.Pourtant malgré la morosité ambiante on avait vu émerger en début d’année quelques motifs d’optimisme sur des sujets importants pour sortir de la crise : la mise en place d’une taxe sur les transactions financières dans 11 pays européens,  l’édification poussive d’une union bancaire, la limitation des bonus des traders et surtout le rejet d’un budget européen pluriannuel aux coupes injustes (2014-2020) par le Parlement européen le 13 mars dernier. Le lendemain du rejet du budget,  à l’occasion du Conseil européen on s’est malheureusement surtout attaché à commenter les livraisons d’armes à l’opposition syrienne mais presque rien sur le budget à renégocier. Malheureusement ou heureusement l’UE a refait une entrée fracassante dans les sujets de conversation avec l’inattendue crise bancaire chypriote gérée de manière cacophonique. On se pince encore pour y croire. L’attention est donc encore attirée sur les trains qui déraillent. L’UE dans certains médias semble ne se limiter qu’à un seul et unique sujet à traiter de manière événementielle. Il y a de quoi s’indigner sur le manque de pédagogie vis à vis de sujets complexes et primordiaux  comme le budget ou l’importance de la mise en place d’une union bancaire pour sortir de l’ornière et relancer le projet européen.

Un système bancaire chypriote hypertrophié

Mis à part les manifestations et les concerts d’indignation parfois plus que justifiés qu’en est-il vraiment de cette crise bancaire chypriote ? Encore un méchant diktat du FMI, de l’Eurogroupe et de la Commission européenne ? L’austère Oli Rehn et la terrifiante Angela Merkel repartiraient-ils dans une nouvelle croisade « austéritaire » et « anti-démocratique » ? N’en déplaisent à certains commentateurs un peu trop rapides dans leur analyse,  les choses sont beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraît. Un an après la restructuration de la dette grecque, le secteur bancaire chypriote, créancier et particulièrement exposé, a perdu beaucoup d’argent en perdant une partie importante de sa mise. Le système bancaire chypriote n’étant néanmoins pas aussi interconnecté avec le système bancaire européen que le système grec, où des grandes banques européennes avaient de filiales, le risque de contagion n’est pas  pour autant à craindre. Cela dit le taux de rémunération des dépôts bancaires se situe  entre 4 et 6%. Les actifs bancaires de ce petit pays sont 8 fois plus grands que son PIB alors que selon certains économistes, la moyenne en zone euro s’élèverait à 3,5%. Nous sommes ainsi face un système bancaire hypertrophié pour 30% constitué de dépôts hors UE (russes en particuliers). Beaucoup de ces dépôts profitent d’un quasi système d’optimisation fiscale.  Chypre est en effet considérée comme un véritable paradis fiscal avec un taux d’impôt sur les sociétés le plus faible d’Europe. Selon Eurostat  l’impôt sur les sociétés  s’élevait à 10% en 2012 contre par exemple 12,5% en Irlande,  26% en Suède, 29, 8% en Allemagne, 24% au Royaume-Uni (il vient de passer à 20%), et 36% en France.  Comment donc aider sans rechigner un pays aussi dépendant d’une « économie-casino au bord de la faillite » pour reprendre les termes du ministre français des finances Pierre Moscovici.

 Cacophonie sur la répartition du fardeau

Chypre ne représente que 0,2% du PIB de la zone euro mais le plan d’aide qu’elle demandait initialement représentait plus de la moitié de son propre PIB (17 milliards) d’euros. Comment à ce moment garantir la solvabilité d’un pays qui s’endette à plus de 50% de son PIB en une fois sachant que le Traité de Maastricht requiert un déficit annuel de 3% et un dette accumulée de 60% du PIB ? Le premier plan d’aide décidé le 16 mars imposait donc la taxation de tous les comptes en banques pour éviter de stigmatiser les gros déposants et donc certaines entreprises avides d’évasion fiscale. Beaucoup se demandent d’ailleurs pourquoi l’Eurogroupe, les 27 et le FMI ont  accepté un tel plan ? Selon certains commentateurs avisés, ce plan a été fait à la demande du président chypriote Anastasiades fraîchement élu fin février. Afin d’éviter une taxe trop importante sur les dépôts supérieurs à 100 000 euros, il aurait demandé une participation de tous les déposants pour éviter un taux de taxation trop important pour certains créanciers russes. Ce qui a beaucoup étonné étant donné que les dépôts en dessous de 100 000 euros doivent être normalement protégés par la BCE. Cela aurait pu créer un précédent fâcheux pour les déposants espagnols, portugais,  grecs et irlandais. Finalement les dépôts de moins de 100 000 euros ne seront pas taxés mais le système bancaire chypriote va subir une crise d’assainissement violente qui risque de contraindre le développement de l’activité. Les autorités russes crient au vol, certains déposants fortunés vont en effet perdre 30 à 50 % de leurs avoirs et la deuxième banque chypriote sous perfusion de la BCE va faire faillite.

Stop au «  German bashing »

La cacophonie sur ce plan d’aide et le manque de leadership clair sur le pilotage de la zone euro ajoutent de l’eau au moulin des contempteurs de l’Union Européenne. Face à un problème aussi complexe et aux différents enjeux qui vont intervenir en Europe, on ne peut que s’indigner sur le manque de pédagogie et sur les conclusions hâtives et simplistes qui engendrent parfois des attaques inadmissibles. Beaucoup s’acharnent par exemple sur la « psychorigide » Chancelière allemande Angela Merkel et s’attaquent de manière assez injuste et détestable au peuple allemand. Bien qu’il soit tout à fait compréhensible de vouloir critiquer les choix parfois contestables et unilatérales du gouvernement conservateur allemand en matière de politique économique européenne, il ne faut pas mettre tout un peuple dans le même sac.  Gardons d’ailleurs à l’esprit que l’une des seules institutions quilutte pour atténuer les conséquences sociales de l’austérité généralisée est le Parlement européen représenté par son président social démocrate allemand Martin Schultz. Toutes ces attaques irréfléchies associées au manque de pédagogie contribuent  à jeter un écran de fumée sur les problèmes importants à résoudre et à éloigner encore plus les citoyens du débat public européen. En effet il est temps d’avancer en accélérant comme beaucoup le pense l’union bancaire et d‘encourager l’Union Européenne à se doter davantage de ressources propres pour se financer. Pour cela l’UE  a besoin de l’intérêt et de la responsabilisation de ses citoyens pour éviter de nouveaux sommets européens opaques qui accouchent d’accords injustes et précipités.

Arezki Yaïche

Membre de l'association paneuropéenne Génération 112

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