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Billet de blog 13 mai 2020

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De l’illusion à l’Hôpital… petit guide pour sauver les apparences.

Ne gardons plus le silence sur ce que nous traversons, ne nous faisons plus les relais d’une information bafouée et d’illusions à ce jour meurtrières. Pour éviter le pire des traumatismes, à tous les niveaux dans nos petits hôpitaux nous pouvons au moins être honnête pour être de nouveau solidaire.

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De l’illusion à l’Hôpital… petit guide pour sauver les apparences.

            Si vous regardez ailleurs, vous louperez les ficelles du tour. Tout bon magicien connait cette idée, tout bon illusionniste connait cette règle. Ne pas regarder, ne pas voir, ne pas savoir et se laisser doucement berner. Il faut croire que l’hôpital est devenu une scène et un tremplin pour magicien amateur. Seulement la magie ça peut faire rêver, là ça me fait hurler, ça me révolte, me laisse face à une réalité de moins en moins humaine dans un univers qui devrait être l’étendard de l’humanité. C’est un cri qui parcourt ces lignes, un cri multiple, polymorphe pour des cibles abstraites aux dommages concrets.

Je suis jeune diplômé de l’université, exerçant la psychologie depuis maintenant 5 ans, et je ne peux que constater les dégâts que des années de déconstruction de l’hôpital public ont pu faire. En cette période de crise sanitaire, au cœur d’un bouleversement qui met en lumière la fragilité des Hommes, on se heurte à des discours mensongés, des illusions dévastatrices.

Et les mots sont ici l’apanage de l’illusion, on en entend des phrases et des déclarations depuis le début : « Vous n’avez pas besoin de porter des masques », « Vous devez juste faire attention », « ce n’est qu’une grippe un peu plus forte » …

Tenir des propos si absurdes autour de la machine à café pour se faire du bien, pour s’éloigner de nos angoisses cela peut se comprendre… mais ces mêmes propos lancés par la direction, lancés par des cadres de santé, déployés par des médecins… ces mêmes propos qui ont amenés des soignants à regarder ailleurs pendant que le tour se déroule, ces mêmes propos qui ont laissés courir l’illusion d’une maîtrise… Des mensonges, des pressions, des menaces… Allant jusqu’à accabler les équipes les plus proches des patients en leur laissant croire que la propagation du virus serait de leur fait, de leurs fautes, qu’ils en seraient coupables. Allant jusqu’à limiter les tests, bloquer les dépistages, menacer quand on demande à comprendre ce qui se passe dans les murs de notre petit centre hospitalier.

L’illusion n’est même pas là où on la soupçonne. Non elle ne réside pas dans le manque de matériel, non elle n’est pas installée derrière le paravent miteux d’une impuissance nationale, elle est dans nos responsabilités au niveau local. Oui le pays au complet souffre de dysfonctionnement dans cette crise sanitaire, oui la faiblesse de notre condition est mondiale à ce jour… Mais non, nous ne sommes pas complètement impuissants, non nous ne sommes pas des pantins amorphes qui nous laissons bercer par les jours. Nous avons aussi le devoir, au niveau local d’agir et d’accompagner nos équipes, nos soignants, nos patients, leurs familles… Il faut croire que le tour le plus insidieux est là, dans la croyance que nous ne pouvons rien y faire. Alors certes on ne peut lutter contre une pénurie, on ne peur lutter contre des décisions gouvernementales… mais on peut parler, dire, expliquer, et communiquer honnêtement ce sur ce que nous vivons.

Le savoir c’est le pouvoir

            A défaut de pouvoir maîtriser une situation, pour lutter contre ses effets nous devons pouvoir la comprendre. Un lieu de soin dans la tourmente d’une crise sanitaire se doit d’être un bastion, une défense, un refuge… Oui nous sommes en difficulté, mais donner la connaissance de la situation, ne pas cacher, ne pas fuir, doit devenir un objectif concret. Quand on souffre d’un manque d’approvisionnement de matériel il n’est pas honteux de l’avouer. Il est bien plus compliqué de comprendre pourquoi on nous laisse croire que ces protections sont veines. Transférer des patients en pleine crise sanitaire et laisser alors un virus se propager dans des zones saines, sous prétexte que nous maîtrisons la situation : là c’est un mensonge, là c’est une mauvaise information.

Ne pas expliquer, ne pas communiquer, cacher, mentir, voilà des moyens de contrôle du savoir qui ne peuvent être que délétère. Moi qui avais appris que de saisir ce que nous vivions nous permettrait de le dépasser, de le contrôler, de le digérer, voilà que je suis plongé dans un monde ou nourrir l’ignorance semble être la meilleure des solutions. Comme le capitaine aux commandes du Titanic qui laisserait penser aux passagers que ce n’était qu’un glaçon. Je deviens spectateur de la peur de mes collègues, de la tristesse, de leur colère, de leur rage… constatant que les plus gros dégâts ne sont pas faits par l’état national, mais par le sentiment d’être pris pour des imbéciles. On voit alors des mouvements de panique, des équipes qui s’écroulent alors qu’elles avaient l’habitude de se soutenir, des équipes qui se sentent seules, désemparées, et le seul réconfort qu’on leur offre tient dans un mouvement de réassurance impuissant.

Si nous savons concrètement ce que nous vivons, si nous comprenons concrètement ce qui se passe ou ce qui nous attend, nous ne supprimerons peut-être pas les angoisses mais au moins pourrions-nous travailler en ayant confiance les uns dans les autres. Diviser les forces de nos équipes, effondrer les relations avec les patients et les dialogues avec leur famille… isoler ne doit pas être, ne peut pas être la réponse.

Si le savoir est le pouvoir, comprendre nous permettra d’entreprendre, et réfléchir, d’agir. Ne gardons plus le silence sur ce que nous traversons, ne nous faisons plus les relais d’une information bafouée et d’illusions à ce jour meurtrières. Pour éviter le pire des traumatismes, à tous les niveaux dans nos petits hôpitaux nous pouvons au moins être honnête pour être de nouveau solidaire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.