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Billet de blog 4 juin 2024

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Maya Ernest : « On a le public qu'on mérite »

Après avoir évoqué sa dernière pièce au fort ancrage autobiographique, la metteuse en scène Maya Ernest parle de son prochain projet, une comédie de boulevard sur la débâcle du PS, ainsi que des paradoxes politiques du théâtre contemporain. Transcription partielle du podcast Intertexte.

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Et du coup, tes prochains projets, c'est des trucs qui te touchent de moins près, quoi.

Maya Ernest : Je monte une nouvelle pièce [...] avec un ami, un auteur qui s'appelle Vincent Calas. L’idée est partie de travaux qu'on fait avec des élèves chaque année au Studio de formation théâtrale de Vitry-sur-Seine. C'est une pièce qui parle du Parti socialiste. Quand je dis que ça ne part pas de nous, au final, si, ça part un peu de nous, parce que, j'ai été au Parti socialiste pendant de nombreuses années, enfin, nombreuses années, au lycée jusqu'en 2012... Donc j'ai fait la campagne pour Hollande.

Après, il y a eu des problèmes. [rires] 

Après, il y a eu Hollande, en fait. J'ai grandi dans une famille du côté de mon père où ils sont très socialistes. Mes parents étaient socialistes. J'ai baigné dans cette espèce d'ambiance « soc-dem », comme on dit, où j'ai grandi en me disant : eux ce sont les gentils de l’histoire, c'est le bon parti, dans quelque chose d'assez religieux et d'assez chrétien en fait. J'ai toujours été assez engagée politiquement, j'ai toujours eu envie de donner mon temps dans des réunions, d'aller donner des tracts, de manifester... J'ai toujours eu un goût pour ça, parce que mes parents aimaient beaucoup parler de politique et j'entendais tout le temps Jospin, Rocard, Aubry, enfin, c'est des noms avec lesquels j'ai grandi et qui ressemblaient un peu à des gros Pères Noël de mon enfance. Ensuite, j'ai été forcément très déçue et il y a eu une grande cassure, bien qu'autour de moi, bon, il y en a beaucoup moins mais il y a encore toujours des socialistes.

Ils sont encore là. [rires]

Ouais, ouais, il y en a encore. Donc c'est un huis clos, c'est un dîner qui adopte les mêmes codes que la comédie de boulevard. Parce que j'ai aussi envie de redorer le blason de la comédie, notamment la comédie de boulevard, qui est une espèce de huilage assez parfait et qu'on critique beaucoup, qu'on méprise beaucoup dans le théâtre contemporain, le théâtre émergent, celui que je fréquente. Finalement, il y a pas beaucoup de choses si drôles que ça. Quand c'est drôle, c'est hyper métathéâtre, c'est-à-dire que les gens jouent l'idée qu'en fait, ils jouent et donc c'est drôle, mais c'est assez pointu. En fait, de la grosse comédie, y'en a pas tant que ça. On le laisse au théâtre privé. On le dédaigne en se disant, voilà, c'est du théâtre de provinciaux, donc ça ne nous intéresse pas. Alors qu'au cinéma, on a plus de goût pour la comédie, quand même. [...] En tout cas, ce huis clos-là, c'est un dîner de soc-dems. Des amis militants se réunissent le soir des élections présidentielles. On part quand même de l'idée de ce fameux soir où il y a eu 1,7%, enfin c'est... et...  j'ai envie d'en parler...

De la dernière fois, du coup ?

Exactement. Anne Hidalgo qui a fait un score terrible pour le parti qui était le parti de gauche le plus important, le parti d'opposition. Celui dans lequel on a tous plus ou moins... grandi dans notre milieu d'artistes de gauche. Pour moi, ça a été comme la fin de l'enfance. Et en cela, ça parle un peu de moi. Ça parle d'une désillusion. C'est-à-dire ce qu'on m'a raconté quand j'étais petite, c'était pas vrai. Voilà.

Les pères Noël n'existaient pas.

Exactement. Le père Noël n'existe pas. Ou alors, le père Noël est une ordure. Jospin est parti. Il ne reviendra pas. Hollande nous a servi Emmanuel Macron. Le Parti socialiste a quand même été le fossoyeur de la gauche républicaine. Il y a une déception immense par rapport à ce que m’ont dit mes grands-parents, qui sont des boomers, évidemment, mais des boomers très intellos, très de gauche que j'admirais énormément enfant et qui en fait tout d'un coup se sont effondrés. Bon, mes parents, c'est différent parce qu'ils ont su évoluer politiquement. Mais malgré tout, pour moi, ouais, c'est la fin des illusions. Et c'est savoir comment on peut en avoir d'autres. Cette pièce, c’est aussi une façon de taper sur les gens qui viennent au théâtre, parce que c'est facile de faire des pièces sur les migrants, parce que tout le monde est d'accord et ressort à la fin, en se disant « Oui, c'est terrible, Lampedusa, quelle horreur... » Mais par contre, je trouve ça toujours agréable quand le mec qui lit Télérama et qui vient très confortablement à chaque fois au théâtre, finalement, on lui dit un peu que c'est un trou de balle. Je trouve que c'est mérité et que ça va, tu vois, ils vont pas s'effondrer...

C'est clair.

Et que c'est à eux qu'il faut parler plutôt que... Au théâtre, on a quand même malheureusement tendance à toujours chercher un nouveau public. Il y a un livre d'Olivier Neveux qui s'appelle Contre le théâtre politique qui est hyper intéressant et qui m'a beaucoup marquée sur ma façon de faire du théâtre. On en a beaucoup parlé dans le milieu, parce qu'on a toujours la volonté de se dire « Il faut faire venir les pauvres au théâtre, il faut faire venir les gens des milieux ruraux, les gens de banlieue... » En fait, c'est d'une condescendance folle, c'est-à-dire que ce serait par notre art certifié qu'on amènerait les gens à un éveil républicain magnifique, qui les rendrait... Qui « désensauvagerait » en fait finalement tous ces gens - et c’est insupportable. Ces gens n'ont pas envie d'aller au théâtre. Et pourquoi ? Mais parce qu'on en est responsables. Enfin, il y a un moment, c'est ce qu'on monte, c'est la façon dont on communique autour des choses, dont on choisit des graphistes, c'est ce qui fait que les gens ne vont pas au théâtre. C'est ça qu'il faut remettre en question. Mais au-delà de retrouver une espèce de posture politique en se disant qu'on fait un art politique, puisque c'était le cas, c'est quand même la base du théâtre... Aujourd'hui, c'est perdu, ça. C'est-à-dire que faire des pièces en disant « On monte Camus, c'est plus actuel que jamais... » Non. En fait, Camus n'est pas plus actuel que jamais.

C'est ça le problème aussi du théâtre, c'est qu'on a tendance à exhumer des choses à chaque fois. Alors, c'est aussi le principe, mais on ne met pas assez en valeur les écritures contemporaines. Les gens ont des trucs à dire aujourd'hui, et dans le festival que j'ai co-monté avec mes collègues, le Toujours Festival, on ne propose que des pièces écrites par des auteur·ices contemporain·es. Parce que c'est hyper important, parce qu'en fait c'est ça qui est intéressant pour moi. La relecture de Camus - même si cette année, je le concède, j'ai programmé un Camus parce que j'aime bien Camus quand même, au fond [...] - en tout cas, moi, dans mon for intérieur, je ne pense pas que c'est ça qui re-questionne les gens. Quand un mec de 50 ans qui est de gauche, mais qui a bien bossé, qui est en fait un gros boomer, va voir ça, ça ne fait que le conforter, ça ne fait pas avancer les choses, enfin... Ça ne choque personne, tout le monde est d'accord. Quand on va voir, je pense, un spectacle qui se fout de la gueule - comme les Chiens de Navarre le font, par exemple, dans un de leurs spectacles - des gens qui accueillent des migrants et de pourquoi ils le font c'est intéressant, parce que ça touche ce public qu'on a et qu'on ne doit pas mépriser. On a le public qu'on mérite, comme je le dis souvent. Si notre public est un public blanc, bourgeois et vieux, il faut s'adresser à ces gens sans les laisser tranquilles. Et sans les mépriser non plus. [...]

Illustration 1
Rien ne saurait me manquer (2019), texte d'Agathe Charnet, mise en scène de Maya Ernest, avec Vincent Calas, Agathe Charnet et Lillah Vial © Nicolas Pintea

On nous demande aussi, forcément, beaucoup d'agir en termes de politique culturelle, c'est-à-dire d'être assistants sociaux, d'être aides pour les vieux, aides pour les jeunes, de combler les manquements de l'État. On a bien vu « l'été apprenant » d'Emmanuel Macron, c'est : les artistes, pour mériter de l'argent, vous devez aller dans les EHPAD et aller dans les écoles. C'est un truc qui est hyper beau, et que j'ai toujours aimé faire, mais ça ne devrait pas être une monnaie d'échange pour créer. C'est un deal qui a été accepté, qu'on accepte tous tacitement, mais qui n'est pas normal. Un artiste n'a pas à donner un truc à l'État en échange de créer. C'est mettre l'artiste à un endroit qui n'est pas...

C'est un peu remplacer un service public qui devrait exister et qui n'existe pas.

Complètement. Avec ma compagnie on a fait beaucoup de prévention… On a beaucoup parlé de féminisme et de sexualité dans les collèges et les lycées. On s’est senties très utiles, c’était fort, en même temps c’était pas toujours évident. C'est quand même dingue de se dire que nous, on n'a pas de formation pour ça, pour recueillir des paroles et que dans une classe, il y a toujours une ou deux personnes qui subit un inceste, qui a été agressée. On s'est retrouvées dans des situations qu'on ne pouvait pas forcément gérer. Mais je suis certaine que si on ne le faisait pas, ce serait un vrai manque.

Illustration 2
Maya Ernest © Arthur Ségard

Entretien intégral à retrouver dans le podcast Intertexte.

Toute la misère du monde de Maya Ernest et Vincent Calas les 4, 5 et 6 décembre 2024 au Théâtre de l'Atalante

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