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Billet de blog 11 février 2024

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Menaces sur le droit d'asile et sur les Associations à Mayotte

La crise actuelle que traverse Mayotte témoigne d'une dégradation sans précédent du climat social avec une montée des élans xénophobes envers les populations originaires d'Afrique continentale. Dans ce contexte, les Associations sont attaquées, diffamées et menacées de fermeture.

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Mayotte, petite île de l'océan indien, 101e département français, est en proie à une vague de haine sans précédent. L'île est bloquée par des barrages depuis 3 semaines. Il n'y a aucune échappatoire puisque l'île est traversée de long en large par 2 axes routiers. Cette action est conduite par un collectif citoyen nommé Forces Vives, soutenu par les élus locaux et Estelle Youssoufa, députée LIOT. 

Je travaille pour une Association qui accompagne les demandeurs d'asile dans leurs démarches sociales et administratives. Notre mission est de les aider à obtenir la protection internationale, ce qu'on appelle le statut de réfugié, et à s'intégrer et se sentir bien dans leurs nouvelles vies. Ces demandeurs d'asile sont très majoritairement issus de l'Afrique des Grands Lacs, de RDC surtout, un pays en proie aux pires horreurs et exactions depuis 30 ans maintenant. L' Association loge des demandeurs d'asile le temps de leur procédure. Malheureusement, elle n'a pas assez de places pour tout le monde (500 places au total). Un campement de fortune s'est donc formé autour du siège de l'Association au stade de Mamoudzou, la Capitale. Plus de 95% d'entre eux sont réguliers, légitimes, inexpulsables. Il s'agit soit de demandeurs d'asile dont la procédure est en cours, soit de réfugiés donc protégés en droit par la France et détenteurs d'un titre de séjour de 10 ans.

Les tensions autour du camp, avec le voisinage puis le quartier, ont commencé à s'accroître il y a six mois mais l'Etat n'a rien fait. Des solutions avaient été pourtant proposées. Et depuis c'est l'escalade. Des jets de cailloux sur les migrants au stade. Des citernes à proximité du camp detruites en pleine crise de l'eau. Des vidéos de bénévoles circulant sur les réseaux sociaux haineux avec menaces anonymes. Une intrusion au siège de l'Association avec un blocage de l'accès par les salariés. La préfecture bloquée depuis trois mois par trois citoyennes en colère. Et surtout aucune réaction de l'Etat, faible, invisible, inexistant, qui, pire, par  une déclaration du Ministre de l'intérieur, le 17 janvier, se contente d'annoncer le démantèlement du camp sans feuille de route aucune - il n'y a simplement pas assez de logements, c'est donc impossible - tout en ajoutant de l'huile sur le feu en osant pointer du doigt, dans un État démocratique, républicain, européen, les 'Associations qui aident ces personnes à venir' . À travers ces propos calomnieux, L'Etat, dont la mission première est de protéger, nous expose et nous met un peu plus en danger. 

Depuis lundi 4 février, l'Association est fermée par mesure de sécurité. Tout comme Mlezi Maore, une association de plus de 700 salariés. Mardi, le collectif et ses nombreux partisans sont en effet venus déverser leur haine sur les migrants encore à la rue et cadenasser nos portes. Pourtant, notre seule tort est de vouloir accompagner des personnes dans un droit fondamental, consacré par la  Constitution et la Convention de Genève: l'asile. 

Ce droit est en train d'être saccagé par le collectif. Dans les faits, il n'existe déjà plus, la Préfecture étant fermée depuis 3 mois, et n'enregistrant donc aucune demande d'asile.

Pendant ce temps, les plus vulnérables comme toujours, commencent à avoir faim. En raison des barrages, nous ne pouvons plus accéder aux hébergements où sont logés 500 hommes, femmes et enfants. Les bons alimentaires de 30 euros par mois (210 euros en Métropole), inscrits sur des bouts de papier (dématérialisés en Métropole) ne peuvent leur être acheminés. Sans parler des pénuries dans les magasins, de la peur de sortir dehors et de la discrimination rampante entravant jusqu'au droit d'acheter du riz. Nous en sommes à penser comme des humanitaires. Comment acheminer des vivres pour éviter malnutrition, émaciation, maladies diarrhéiques aux conséquences mortelles. 

Samedi 10 février, le Ministre de l'intérieur, se rend enfin sur le territoire pour écouter les collectifs. Aucun représentant associatif n'est entendu, écouté, considéré. Sur l'asile, même discours demogagique sur le démantèlement immédiat du camp. Sur le reste, une annonce sera retenue: la fin du droit du sol. Autre exception, toujours dans le sens du grignotage des droits fondamentaux et acquis sociaux. 

Ce qui se passe ici à Mayotte est grave. Nous voulons juste continuer notre travail, et surtout qu'on laisse les personnes que l'on accompagne vivre et respirer en paix. Nous aimons ce que nous faisons et nous le faisons bien, et nous enlever le droit de faire notre travail par la force et la menace est inadmissible, violent et atterrant. 

On comprend la colère, on vit nous aussi l'insécurité, les barrages nocturnes, les caillassages, les écoles surchargées, les heures d'attente pour juste voir un médecin. Est ce une raison pour s'en prendre aux plus vulnérables ? 

L'Association pour laquelle je travaille n'a jamais voulu que ces personnes se retrouvent sans logement à vivre dans un camp improvisé. C'est une douleur quotidienne de croiser chaque matin en allant au bureau des familles, des enfants, des personnes malades, dormant dans la rue, sur des matelas detrempés sans accès à l'eau potable. Chaque jour, on a envie de pleurer mais on se ressaisit et on travaille pour essayer de trouver des solutions  pérennes. 

Nous voulons qu'ils soient logés, qu'ils aient les mêmes droits qu'en Métropole, en premier lieu l'Allocation de Demandeur d'asile, condition d'une vie digne et décente, qu'ils reçoivent leur titre de séjour le plus rapidement possible pour un transfert vers la Métropole, comme ils le souhaitent tous. Aucun d'entre eux n'a jamais souhaité rester à Mayotte. Nous ne voulons pas cela non plus. 

Alors, soyons cohérents puisque nous voulons finalement la même chose, pour diverses raisons certes mais qu'importe. 

Qu'on nous laisse faire notre travail, nous et nos partenaires, et si on nous en empêche, que l'Etat assume son rôle premier de garant des droits et libertés individuelles, de la Constitution et des Conventions Internationales.

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