Avec 500 000 personnes présentes, la Marche des Fiertés de Paris 2025 a été un succès politique important. Son caractère plus ouvertement politisé, dépassant les seules revendications LGBTQI, donne à cette démonstration de force une portée inédite, en dépit d’une campagne d'attaques en règle de la part de l'extrême droite, d'une partie de la droite institutionnelle, et d’une partie de la gauche bourgeoise. Enfin, le collectif homofasciste Eros a été empêché de défiler : une victoire symbolique mais déterminante. Pris ensemble, ces éléments tracent une marche à suivre : assumer la politisation du mouvement LGBTQI, c'est contribuer à la riposte antifasciste.
1-Début juin l’Inter-LGBT révélait l’affiche officielle de la Marche des fiertés Parisienne ainsi que son mot d’ordre : « contre l’internationale réactionnaire, queers de tous les pays unissons-nous. » La présence sur l’affiche d’une femme portant le foulard, d’un pins Palestine ainsi que d’un militant néo-nazi à terre a déchainé la haine de l’extrême-droite. Il n’en fallait pas plus pour que Valérie Pécresse retire deux subventions à l’Inter-LGBT pour un total de 50000 euros et pour que la gauche bourgeoise islamophobe et pro-Israël s’indigne.
Certaines entreprises finançant la marche ont retiré leur financement : les LGBTQI sont un marché un juteux si et seulement si leurs « valeurs » sont en cohérence avec le marché, qu’elles acceptent passivement la marche du monde et sont d’accord d’être des consommateurs raisonnables qui coexistent avec leurs bourreaux. Cet épisode doit permettre des discussions dans l’ensemble des mouvements sociaux sur leurs financements. Partout dans le monde les retraits de subventions privées se multiplient et les organisations concernées sont souvent démunies. La fin du pink-washing au profit de l’économie de guerre et du retour à l’ordre économique moral doit rimer, pour nous avec une nouvelle autonomie financière. Et si qui semble être perdue aujourd’hui permettra, à terme, de construire une assise politique d’autant plus importante qu’elle sera libre de toute pression des marchés économiques.
Mi-juin, à moins de deux semaines de l’évènement, le vent semblait donc peu favorable. Pourtant l’Inter-LGBT a tenu ses positions, soutenue par l’ensemble des mouvements sociaux et politiques de la gauche de rupture.
2-Mi-juin toujours, Eros, collectif homofasciste, annonce un cortège à la Pride. Ouvertement opposé au mot d’ordre mais aussi à l’ensemble de la marche qu’il qualifie de “marche des dégénérés” le fondateur, Yohan Pawer, a demandé au cabinet de Bruno Retailleau un encadrement par la police. A l’instar du dispositif mis en place pour les 25 novembre et 8 mars dernier afin de permettre à Nemesis, collectif fémofasciste, de défiler, l’extrême-droite semble de plus en plus à l’aise de solliciter l’aide du ministère de l’intérieur pour assurer son service d’ordre.
Le 25 juin le média Problematik publie une tribune dans le Monde signée par 500 personnalités et organisations LGBTQI, féministes, sociales et politiques pour dénoncer cette tentative d’infiltration de la manifestation par l’extrême droite et faire pression sur la préfecture. L’arc de force a été le plus large possible, de l’Union Communiste Libertaire à des adjoints d’Anne Hidalgo. Cette tribune a fonctionné comme un réel électrochoc pour l’ensemble des personnes LGBTQI.
Face à la menace réelle que représente un collectif qui dit lutter contre les LGBT tout en se revendiquant gay, dont l’emploi du terme dégénérescence peut faire écho aux pires politiques de « correction » des « malades » homosexuels et trans sous régimes fascistes, tout le monde semble prendre la mesure du danger et plus personne ne polémique sur l’affiche. De Quotidien à Libé, on parle d’Eros, de la nécessité de lutter contre l’extrême-droite pour les personnes LGBTQI et, au-delà, de défendre cette pride dont le caractère politique devient une nécessité aux yeux de toustes. Conséquence de cette mobilisation sans précédent : le jour même de la marche, la préfecture finit par plier. Elle ne protégera pas Eros qui se contente d’un minuscule rassemblement à 17.
L’interdiction par Viktor Orban de la Pride de Budapest a contribué à cette prise de conscience, et rappelé à toustes qu’il est plus aisé de lutter face à l’extrême-droite avant sa prise de pouvoir.
3-Le succès historique de la pride de Paris 2025 repose sur ces éléments, mis bout à bout : contexte mondial de montée de l’extrême-droite qui attaque particulièrement les droits des personnes LGBTQI ; appel politique de l’Inter-LGBT contre l’internationale réactionnaire ; prise de conscience générale du danger que représente l’extrême-droite pour les personnes LGBTQI en France. Dans un contexte où les attaques de l’extrême-droite contre le mouvement ont pu être reprises par une partie de la gauche bourgeoise, il s’agit aussi de prendre la mesure de ce qui se passe actuellement : l’extrême-droite est LGBTQI-phobe, il y a donc urgence à s’y opposer. Mais cela ne peut se faire sans une grille de lecture globale, qui pense et articule l’ensemble pour chercher à mobiliser chacun-e dans un mouvement commun : en se solidarisant d’abord des personnes musulmanes, premières victimes de l’extrême-droitisation de la société, mais aussi des migrant-e-s, sans oublier les questions sociales.[1].
La séquence de ce mois de juin 2025 démontre aussi que la gauche sociale de rupture peut jouer un rôle déterminant. La publication de la tribune contre la présence d’Eros a été un véritable catalyseur qui a permis de polariser le débat au bon endroit, mobiliser, construire un rapport de force autour de l’appel de l’Inter-LGBT, tout en balayant les débats stériles sur l’affiche. La victoire face à la préfecture prouve qu’il est toujours possible de mettre le pouvoir autoritaire en déroute : dans la rue, c’est la gauche qui gouverne, et qui gouvernera tant qu’elle sera capable de s’unir et de faire masse.
Enfin la dimension internationaliste ne peut être ignorée. Beaucoup de personnes se sont senties concernées par ce qui se passe en Hongrie ou aux Etats-Unis, rappelant ainsi que face à l’internationale réactionnaire, il y a urgence de former une internationale des peuples en lutte. La prise en compte des enjeux internationaux depuis le 7 octobre 2023 participe aussi de la politisation du mouvement. Inscrire la solidarité avec la Palestine dans les mots d’ordre de la Pride n’est pas une simple juxtaposition de revendications. Il s’agit d’une cohérence politique. Tous les peuples ont droit à leur autodétermination, toutes les oppressions doivent être combattues et tous les tyrans doivent tomber, si nous souhaitons un jour être libres, chacun-e-s.
4-Le succès historique de cette Pride doit donner de la force à la lutte contre l’extrême-droite. Elle engage aussi le mouvement LGBTQI à participer pleinement à cette lutte et à y mener un rôle actif .À l’instar du 8 mars 2025, où 500 000 personnes ont participé à la grève féministe contre l’extrême droite dans toute la France, cette mobilisation prouve que les luttes contre les oppressions ne se limitent pas à rendre visibles des identités ou à réclamer des politiques sectorielles. Lorsqu’elles s’articulent à des perspectives politiques générales, elles deviennent force de bascule, capables de politiser les masses et d’entraîner des centaines de milliers de personnes. En choisissant de faire corps et de dépasser les clivages internes tout en ne faisant aucune compromission sur l’essentiel, les mouvements démontrent de l’importance de l’unité et de la radicalité dans la construction d’un front antifasciste de masse.
Pour autant, ce rôle n’est que partiellement pris en charge. Si nous arrivons à décloisonner nos mouvements lors des grandes dates, la tendance reste à un enfermement sectoriel le reste du temps. De même, le jour d’après est toujours un impensé : 500 000 personnes le 8 mars partout en France, mais ensuite ? La marche des fiertés parisienne ne doit pas être un one shot événementiel puis retour à la routine, mais le point d’appui d’une mobilisation continue, quotidienne, contre l’extrême-droite et pour la solidarité internationaliste entre les peuples. Il y a urgence à forger des fronts de lutte unis, capables d’inscrire les mobilisations dans le temps long, de remporter des victoires, de faire bouger le rapport de force. Urgence à briser les routines organisationnelles, à penser le militantisme au-delà des grands rendez-vous ou de l’entraide du quotidien — essentielle, mais insuffisante. Il faut des organisations qui osent penser au-delà des identités, qui fassent des ponts, construisent du commun, généralisent les luttes. Militer au-delà d’Instagram et des manifestations. Et surtout : imaginer les contours d’un autre monde.
Parce qu’à l’heure où l’extrême droite prospère, où les guerres se multiplient, où le capitalisme broie, pille, assassine — l’urgence, à elle seule, ne suffit pas. Seul l’horizon d’un futur désirable partagé par le plus grand nombre arrivera à mobiliser en masse, actionner le frein avant la catastrophe et bifurquer vers société égalitaire, libérée de tous rapports d’exploitations et d’oppressions.
[1] Sur l’affiche, en plus du pins Palestine, on peut voir un pins féministe, un pins gilet jaune et un pins « retraite à 60 ans ».