8 mars 2025 : vers un tournant antifasciste ?
Ce 8 mars 2025, 250000 personnes ont pris part à la Grève féministe ! C’est la plus forte participation à des manifestations féministes hors mouvement des retraites, et la première véritable mobilisation depuis les législatives de 2024. Ce n’est pas un hasard : si les mobilisations féministes sont parmi les plus dynamiques depuis 2018, le saut quantitatif opéré cette année s’explique en grande partie par la reprise du mot d’autre « grève féministe pour battre l’extrême droite » par l’ensemble du mouvement. Se faisant ce 8 mars 2025 a été, de loin, la mobilisation féministe la plus fédératrice depuis le début de la nouvelle vague, démontrant que les luttes contre les oppressions peuvent largement entraîner, participer à l’unification de notre camps social et faire reculer l’extrême-droite et le gouvernement. Car c’est cela qui s’est joué aussi en cette journée, notamment à Paris, où les fascistes comme la Macronie ont tenté, jusqu’au dernier moment, de récupérer le mouvement. Leur mise en échec ici doit être un point d’appui nécessaire pour la construction de nos victoires futures.
Marche du 7 mars : quand l’état criminalise nos luttes et cherche à construire un féministe officiel
La marche de nuit féministe du 7 mars à Paris appelée par l’assemblée féministe Paris-Banlieue depuis maintenant 4 ans est un moment de reprise de pouvoir collectif par les femmes et LGBTQI important. C’est aussi une manifestation « plus radicale » qui permet d’allier expression de rage et politisation des identités autours de problématiques anticapitalistes, antiracistes et anti-impérialistes. Tous les ans elle permet à des collectifs et regroupements divers d’avoir des cortèges spécifiques pour transcrire leurs propositions. Cette année Urgence Palestine et Samidoun ont appelé à un cortège pour la Palestine. Cet appel à fait sortir de leur gonds la Macronie et l’extrême-droite qui ont cherché à faire interdire la manifestation au prétexte que les slogans de ces collectifs étaient des appels à la haine.
Lors du référé au tribunal administratif les représentant-e-s de l’état ont élargi les motifs de la demande d’interdiction : non seulement parce que les slogans pro-Palestine ne leur convenaient pas mais également parce que l’Assemblée Féministe Paris-Banlieue avait signé un communiqué contre la présence de Némesis dans la marche du 8 mars. En faisant cela l’Etat cherche à mettre la pression sur le mouvement féministe qu’il ne tolère que s’il reste dans un cadrage politique spécifique. Le féminisme devrait se résumer à une lutte contre les violences sexistes et sexuelles (et encore, seulement si le coupable n’est pas une personne de pouvoir) ou des demandes abstraites d’égalités (qui ne bénéficient qu’aux femmes de la bourgeoisie).
L’objectif est de rendre le féminisme compatible seulement avec le néolibéralisme macroniste ou les projets d’extrême-droite. Il s’agit d’en faire un instrument d’empowerment individuel et/ou un fémonationalisme qui peut être utilisé pour justifier des nettoyages ethniques ou la traque des migrant-e-s.
Construire un féminisme à deux têtes n’est pas un projet nouveau. Il est au cœur de la Macronie, de Marlène Schiappa à Aurore Bergé, bien qu’il y ai eu une accélération depuis un an. Cette tentative d’interdiction n’est pas sans lien avec d’autres autres ingérences policières au sein des manifestations féministes comme le 23 novembre dernier lorsque la préfecture de Paris a organisé les cortèges de Némésis et Nous Vivrons. L’état fait du mouvement féministe un laboratoire de stratégies de neutralisation des mouvements sociaux : il tente de l’ingérer, d’y permettre l’infiltration de la droite et de l’extrême droite, de neutraliser la politisation du discours et rêve de réduire le mouvement à des fonctions de témoignage et de passe plat.
Finalement, grâce au travail des avocat-es de la Legal Team Antiraciste et de la LDH, et avec la pression continue de l’ensemble des organisations de gauche, la manifestation du 7 a pu être autorisée. Alors que la marche de nuit se veut « radicale » et qu’elle était appelée sur des mots d’ordres qui ne font pas forcément consensus dans l’ensemble du mouvement et des organisations syndicales et politiques, toute la gauche de lutte est restée unie et solidaire. En résulte une marche qui a regroupé plus de monde que les années précédentes, car de nombreuses personnes ont souhaité s’opposer, dans la rue, a l’interdiction de la manif.
La marche a été particulièrement dynamique, rythmée, joyeuse et combattive, galvanisante : à l’heure de la généralisation de la criminalisation, il est possible de faire reculer l’état, faire reculer Retailleau. Mettre un stop, même pour un soir, à la fascisation de la société.
8 mars 2025 : les fascistes reculent, l’espoir renaît
Le fait le plus marquant de la séquence parisienne a eu lieu le lendemain, le 8 mars, lorsque l’état a tenté de permettre à Némesis et Nous Vivrons de manifester. Contrairement au 23 novembre, l’ensemble des organisations qui appelaient à la manifestation avait décidé d’agir contre la présence de Némesis. La couleur avait été annoncé en amont : si Némésis tente de marcher avec nous, nous ne manifesterions pas. Et lorsque le tout petit cortège des fémofascistes, encadré par la police a tenté de s’élancer après 3h d’attente, les 120000 manifestant·es se sont arrêtées, comme prévu, applaudissant la décision en scandant des slogans antifascistes. La police a alors tenté de forcer le passage, réprimant les militant·es féministes, syndicales et antifascistes, qui faisaient bloc au fond pour empêcher la progression de Némésis. Après plusieurs heurts et malgré des interpellations, le cortège de Némésis n’a pu finalement manifester que sur 500 mètres avant de remballer.
Le cortège de Nous Vivrons, qui avait pourtant demandé à la préfecture de ne pas manifester au même endroit que Némesis, n’a pas non plus pu manifester. Cnatonné dans une petite ruelle pendant plusieurs heures, la police l’a finalement placé dans le même périmètre que Némesis, liant à nouveau son sort dans le même dispositif policier, ce qui n’est que peu étonnant. Nous Vivrons est un collectif proche de la Macronie qui défile avec le printemps républicain, il semble donc logique que l’état déploie des moyens spécifiques pour le protéger, tout comme il en déploie pour protéger Némésis dont le ministère de l’Intérieur fait les louanges : au gouvernement comme dans la rue, néolibéralisme radicalisé et extrême-droite cheminent désormais ensemble, de gré ou de force.
Enfin il faut noter le traitement médiatique de cette journée. Alors que depuis le 7 octobre 2023 les « affrontements » dans les manifestations féministes font la une des titre, les médias ont cette fois plus appuyé sur les discours portés par les manifestant-e-s, notamment ceux liant féminisme et lutte contre l’extrême droite. Némésis a été invisibilisé, dans la rue comme dans les médias, par l’impressionnante démonstration de force et d’unité du mouvement partout en France. C’est bien cela qui s’est joué ce 8 mars : alors que le mouvement féministe est à la fois un des mouvements les plus dynamiques mais aussi un des plus fracturés, il a su s’unir autour de l’urgence antifasciste.
La Grève féministe comme vecteur d’un nouvel antifascisme de masse ?
La double victoire des 7 et 8 mars face à l’état et face à Némésis est à mettre en corrélation avec le nombre de personnes qui ont pris part à la Grève féministe, 250000. Il s’est agi d’une mobilisation de masse, directement appelée sur le mot d’ordre de lutte contre l’extrême droite, que ce soit centralement par la Coordination Féministe depuis juillet dernier mais aussi par le collectif Grève Féministe (qui regroupe les syndicats, partis politiques et les associations féministes « traditionnelles »). Si ces victoires ont eu lieu maintenant, c’est donc tout sauf un hasard.
D’abord, parce que la Coordination Féministe a travaillé le terrain sur cette question depuis des mois. De l’appel à la mobilisation pour le 25 novembre dernier jusqu’à l’appel pour le 8 mars, signé par 219 organisations, la préoccupation de lier féminisme et riposte antifasciste est au centre des préoccupations politiques. Le 25 janvier dernier la Coordination Féministe appelait par ailleurs à des mobilisations féministes antifascistes sur tout le territoire.
Enfin, il ne s’agit pas de se contenter d’un discours « défensif » mais de lier lutte contre l’extrême-droite et futur désirable : sans un projet viable à opposer à l’extrême droite, on ne pourra pas entraîner largement la population vers une autre voie ; la lutte antifasciste ne saurait être donc déliée d’une volonté de changement radical, que ce soit pas l’extension des services publiques, l’augmentation des salaires et la baisse du temps de travail, des politiques de luttes contre l’islamophobie, l’antisémitisme et toutes formes de racisme ou enfin une réelle libre disposition de nos corps qui passe tant par la gratuité et le libre accès à tous les parcours de transition comme à l’IVG ou la PMA.
Mais si cette victoire a aussi été possible, c’est précisément par la nature même de la grève féministe. Il ne s’agit pas « simplement » d’une mobilisation féministe ou d’une journée de grève salariale, mais d’un moment durant lequel on propose de tout mettre en pause pour tout repenser. Depuis 2018 les militant-es féministes partout dans le monde en ont fait leur stratégie. Elles cherchent par là à politiser le féminisme via la question de l’imbrication de l’exploitation et des oppressions et à remettre au centre le rôle des femmes et minorités de genre dans le système capitalisme. Elles proposent une dialectique entre l’outil de la grève comme moteur de transformation et des perspectives pour un futur désirable pour toustes où la solidarité, l’égalité réelle entre toustes, le commun et la démocratie remplacent exploitation, violences, isolement et concurrence.
En cela, c’est une stratégie privilégiée pour que le féminisme puisse devenir moteur du renouveau des luttes et de leur unification autours d’un projet positif. C’est précisément ce qui a commencé à se jouer autours de ce 8 mars : utiliser la grève féministe comme moment d’action collective de masse pour opposer au projet mortifère de l’extrême-droite une solidarité totale, une convergence des revendications liées aux conditions de travail, contre les violences sexistes et sexuelles, toutes formes de racismes, l’impérialisme, la transphobie, etc. Se faisant, en mettant 250000 personnes dans la rue, uni.es dans une certaine diversité mais toustes convaincue que l’urgence féministe est d’opposer à l’extrême-droite un projet de société désirable, l’ensemble du mouvement féministe a su poser les jalons d’une riposte antifasciste de masse qui puisse faire reculer, aujourd’hui, l’extrême-droite et l’Etat dans la rue, et pourquoi pas demain dans la société.
Leçons du 8 mars
1 - Si cette séquence politique est une véritable réussite tant pour le mouvement féministe que pour l’ensemble de notre camp social, nous devons être capable d’en tirer des leçons pour le futur. La première est que seule l’unité de l’ensemble de la gauche sociale et politique de rupture peut permettre de mobiliser largement et ainsi d’enrayer la fascisation de la société.
2 - Nous devons nous servir de ces journées comme d’un exemple pour la suite. Si Némésis et l’Etat ont pu penser utiliser le féminisme à leur fin, c’est qu’ils avaient pris suffisamment confiance et qu’à l’inverse nous étions trop sur la défense, trop tétanisé-e-s pour avoir conscience de nos propres forces. Or, lorsque nous sommes organisé-e-s, déterminé-e-s et uni-e-s, que nous relevons la tête et que nous agissons, la vérité apparaît à nouveau comme une évidence : nous sommes plus nombreuxses, mieux organisé-es, nous avons tellement mieux à proposer, notre intelligence et notre force collective sont autant d’éléments qui montrent que non, nous n’avons pas encore perdu et que nous devons nous battre jusqu’à la fin.
3- La réussite du 8 mars tiens dans la convergence entre des militants « traditionnels » (le collectif Grève Féministe) et ceux issus des nouvelles générations militantes » (la Coordination Féministe). Ce n’est que par l’alliance et le respect entre l’ensemble des acteurices des mouvements sociaux et politiques d’aujourd’hui que nous arriverons à gagner quoi que ce soit, car les forces et faiblesses des un-es et des autres permet, précisément, de palier nos défaut respectifs et ainsi de nous aiguiser, ensemble.
4 - Les tentatives de récupération du féminisme par les fémonationalistes macronistes ou d’extrême droite ne sont sans doute pas finis. La « nouvelle ère » guerrière promise par Macron s’accompagnera sans doute de nouveaux essais, d’un côté comme de l’autre, pour instrumentaliser le mouvement et le mettre à leur service. Dans ce contexte le mouvement féministe doit continuer de tenir bon sur ces bases malgré les pressions. Être un mouvement profondément décolonial, antiguerre entre les peuples, qui met au centre un horizon de solidarité, de paix et de vivre ensemble.
5 - Pour continuer de jouer un rôle de vecteur d’antifascisme de masse, le mouvement féministe doit s’engager toujours plus loin dans la recherche de construire un projet politique commun pour toustes, qui parle à toustes. Car c’est cela aussi qui dérange tant le pouvoir que l’extrême droite. Ils ne veulent en aucun cas que les mouvements de lutte contre les oppressions sortent des habituelles « politiques identitaires » avec leurs lots de mise en concurrence des victimisations. Ces politiques de chacun-e-e contre toustes servent in fine le pouvoir car elles permettent de fracturer notre camp social et d’assigner chacun-e à un rôle défini, facilement identifiable et stable. Au contraire, nous devons continuer de chercher à construire une hégémonie populaire qui parte des spécificités mais les dépassent dans une synthèse anticapitaliste qui ne fait l’impasse sur rien mais permet, au contraire, de gagner tout !