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Billet de blog 11 septembre 2025

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10 septembre, et la suite : bloquons tout, grévons le reste !

Les éditorialistes de droite prédisaient une mort-née pour le mouvement du 10 septembre à cause de sa « récupération » par la gauche. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes. L'ampleur de la mobilisation du 10 septembre laisse entrevoir des perspectives vers une grève générale. À condition de résoudre ses tensions.

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10 septembre : bloquons tout, grévons le reste !

1. Les éditorialistes de droite prédisaient une mort-née pour le mouvement du 10 septembre à cause de sa “récupération” par la gauche. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 29 000 personnes recensées sur les milliers de points de blocage, plusieurs dizaines de milliers en AG et jusqu’à 250 000 personnes qui ont participé à la somme des blocages et des manifestations, ce qui représente une mobilisation à peine en deçà de l’acte 1 des Gilets jaunes. Or si le caractère plastique et nébuleux du 10 septembre autorise la comparaison, il est en réalité difficile de mettre en résonance une journée de lutte en semaine (et donc, de grève) et une le week-end, dans lequel les impératifs professionnels ou scolaires sont moindres. Au regard de l’importance du mouvement des Gilets jaunes, cela met en avant le potentiel inédit du 10 septembre et de ses suites. 

2. Ce qui aurait pu couper l’élan populaire – la démission de Bayrou avant la mobilisation – a agi comme un catalyseur : désormais c’est Macron et avec lui l’ensemble de ses politiques antisociales qui sont la cible. Dès lors il ne s’agit plus d’un type de mobilisation classique, « contre », auquel nous sommes depuis trop longtemps habitué-e-s. Contre la loi travail, contre la réforme des retraites, contre les grands projets inutiles, contre, contre, contre, et autant de défaites. Si nous ne savons pas encore bien ce pourquoi nous sommes, le caractère mouvant, plastique et novateur du mouvement peut laisser rêver à des horizons un peu plus dégagés. 

3. Le 10 septembre a vu converger une pluralité d’acteurs sociaux et politiques. 

  • Initié hors des sphères militantes, il a su mettre en mouvement certaines personnes fatiguées par des années d’austérité, de casse de leurs droits, ne pouvant plus finir le mois ou se soigner convenablement. 

  • Quelques jours seulement après la rentrée scolaire, plusieurs dizaines de lycées étaient bloqués partout en France et des AG étudiantes ont permis de mobiliser en nombre sur les facs. 

  • Pour certains syndicats, dont Solidaires et la CGT, il n’a pas été question d’attendre la traditionnelle « rentrée sociale contre la vie chère ». Bien que timide, la participation syndicale démontre que face à l’ampleur de la crise sociale et à l'accumulation des défaites il n’est plus question de repousser au loin toute mobilisation qui n’est pas estampillée du badge de l’intersyndicale. 

  • Partout sur le territoire, les mouvements féministes, LGBTQI, antiracistes et écolos ont également participé activement à la construction du 10 septembre. Cette participation est notable tant le chemin a été long pour que les « nouveaux mouvements sociaux » s’intègrent pleinement dans des mobilisations qui ne les concernent pas directement. Pendant le mouvement des Gilets jaunes par exemple, le virilisme supposé des manifestant-e-s ou la participation de personnes votant à l’extrême droite pouvait agir comme épouvantail. Mais l’urgence palestinienne a entre-temps permis quelques clarifications : ce n’est ni la composition sociale ni la pureté d’un mouvement qui en tracent ces contours, mais l’objectif. 

Alors que les incessants et nécessaires appels à la convergence des luttes ne donnent que rarement des résultats tangibles, le 10 septembre a permis une convergence de fait. Il n’est ni question ici de demander à des mouvements de suivre une lutte « prioritaire » ni d’additionner des revendications sectorielles et de les mettre bout à bout pour tenter tant bien que mal d’en trouver une cohérence, comme on dessinerait un cadavre exquis. Au contraire, cette mobilisation se construit depuis l’agrégation des particularités qui cherchent à se fondre dans un tout qui dépasse les partis autant qu’il les réunit : la conscience collective que nous sommes, toutes et chacun-e-s, du même côté de l’exploitation et qu’ils sont les mêmes à tirer profit de nos dominations. 

4. Le 10 septembre se démarque par son caractère flou. Si « bloquons tout » a su fédérer, bloquer quoi ? Et qu’est-ce que le tout ? Dans les faits, cela s’est traduit par une multiplicité d’actions, chacun-e faisant ce qu’il sait faire, ou ce qui lui a parlé. Blocage de périphs, de routes, de rails et même de passages piétons, piquets de grève, manifestations, occupations de places, de lieux culturels et même de stands de merguez, appel à rester chez soi, à ne payer qu’en espèces et même à ne pas payer du tout (ce qui, pour beaucoup, est relativement simple et courant le 10 du mois), une pluralité de modes d’action a été proposée et, dans les faits, mise en place. Cette diversité a permis à tous de s’y retrouver.

 De fait, le 10 septembre n’a été ni une journée de grève, ni un traditionnel défilé « 10 h/14 h place symbolique jusqu’à autre lieu symbolique », ni une émeute insurrectionnelle, ni une mobilisation « citoyenne », mais un peu tout cela à la fois. Cela a pu déconcerter certains, c’est sans doute ce qui en fait sa plus grande force. Ne pas choisir, ce n’est pas toujours renoncer. C’est aussi avoir l’audace d’accepter qu’on ne sache pas toujours comment mobiliser, mais surtout, que tout le monde ne veut pas suivre le même mode d’emploi du parfait militant. 

De fait, après 20 ans de défaites, une mobilisation plastique permet de redonner confiance à tout le monde. Ce n’est pas pour rien que cette journée a condensé tout ce qui se fait depuis 2015 : ici des AG publiques rappelant Nuit debout, là des opérations blocage de périphes des Gilets jaunes, une Zone d’occupation féministe inspirée des grèves féministes du 8 mars, des militant-e-s LGBTQI qui vont soutenir des piquets de grève ou partent en déambulation sauvage comme pendant les retraites, etc. Tout converge, une nouvelle fois, dans la mobilisation en acte. 

Cette pluralité suffira-t-elle à gagner ? Certainement pas. Depuis un siècle, et jusqu’à preuve du contraire, seul un blocage réel et effectif d’un espace national donné, la combinaison de la grève générale – c’est-à-dire de tout le monde, du cheminot aux secrétaires, des profs aux caissières – et de la volonté partagée qu’il n’est plus possible de continuer ainsi permet de transformer la grève en moment insurrectionnel pouvant laisser entrevoir une victoire. 

Pourtant la diversité des modes d’action peut servir à agréger plus de monde qui préfèrerait l’une ou l’autre des modalités – y compris, pour qui, retirer tout l’argent de son compte est l’action de désobéissance civile en soi. Car à la fin de la journée, on préfèrera construire une grève générale insurrectionnelle avec tout le monde, et qu’importe si l’argent est placé sur un compte en banque ou sous un matelas, tant qu’il n'est pas en bourse.   En cela, la pluralité ne doit pas uniquement être respectée, elle doit être choyée. 

Une fois tout cela posé, restent les tensions que la mobilisation doit dépasser pour s’inscrire dans la durée, opérer un saut qualitatif et espérer une victoire. 

5. Le mouvement doit s’élargir. Des personnes non militantes y ont pris part. Oui, certes. Mais sans doute moins qu’en 2018, beaucoup moins que pendant le mouvement des retraites, et encore moins pour obtenir une victoire définitive. Les AG doivent servir de lieu pour organiser la lutte mais aussi pour développer une pédagogie militante et rallier un maximum de monde.

6. La grève doit être réelle et effective. Nous devons sortir du discours des « secteurs clés » et nous sentir, toustes, appartenant à la même classe, car objectivement, très peu de monde dans la population et encore moins parmi celles et ceux qui se mobilisent font partie de la classe qui possède des moyens de production. Se syndiquer n’est pas réservé à quelques-uns, construire la grève non plus. 

7. Tenir tous les bouts des pluralités d’acteurs et de modes d’action est une nécessité pour entraîner un maximum de monde, pas uniquement pour le plaisir de lutter, mais parce que cette mobilisation peut être le catalyseur d’une colère plus grande. Nous ne sommes pas au bout des dingueries macronistes, des plans de rigueur, corruptions, scandales, casses sociales, etc. Maintenir le monde social dans un état de haute intensité, c’est préparer un cadre pour l’explosion spontanée qui pourrait faire irruption à tous moments. 

8. Certains points de blocage ont tenu plusieurs heures, la plupart quelques dizaines de minutes. Jusqu’à présent l’arsenal répressif démesuré n’a pas été déjoué. Il faut alors repenser la combinaison grève/blocage : la grève permet de bloquer la production sans risquer de se faire tabasser, là où le blocage permet un arrêt total de tous les flux, y compris ceux qui échappent à la grève. Sans un élargissement de la mobilisation et une pensée conjointe des deux modalités, l’arrêt du pays semble compliqué. En grève comme en blocage, seule la masse peut réellement permettre l’arrêt. 

9. Nous devons réaliser que plusieurs dizaines de milliers de personnes en AG le 10 septembre, c’est un potentiel de démocratie de lutte rarement égalé. Ces instances de pouvoir auto-organisées doivent se renforcer, se multiplier, se coordonner et décider de l’agenda du mouvement.  

10. Les AG doivent permettre de tenir les deux bouts entre la demande de démission de Macron et des revendications positives. La force du mouvement des Gilets jaunes était de ne pas être un mouvement défensif de plus. Nous ne luttions pas contre une réforme, mais pour des vies dignes. Cela a permis d’élaborer des revendications communes, de rêver un peu d’un autre horizon, de parler démocratie, conditions de travail, utopies à venir. 

11. Le 18 septembre doit être une perspective, pas une fin en soi ; l’agenda de l’intersyndicale doit être dépassable sans être craint. La démonstration de force du 10 septembre, c’est qu’il est possible de mettre dans la rue 25 000 personnes sans appel d’organisations.

 Prendre conscience de cela, c’est prendre conscience qu’il est possible de développer une mobilisation par le bas, et que l’auto-organisation populaire, si elle est suffisamment forte, balaye toutes sorties routinisées. Aucune récupération ne sera possible si le mouvement ne s’auto-anesthésie pas tout seul. Or, c’est cela aujourd’hui le plus grand défi auquel est confronté le 10 septembre : arriver à construire une mobilisation démocratique qui s’ancre, s'élargit, se généralise, et bloque pour de vrai le pays, sait ce qu’elle veut, croit en ses capacités et ses forces, pour déborder le pouvoir et rêver un peu à un automne radieux.

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