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Billet de blog 21 avril 2025

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Les femmes trans sont des femmes ! Oui, très bien. Et après ?

La décision de la cour suprême du R-U d'assigner le genre au sexe biologique a provoqué une vaste campagne de soutien dans les milieux militants. Mais celle-ci peine à dépasser les prises de positions de principe, à sortir de l'infériorisation des personnes trans et à proposer des stratégies offensives. 

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 Les femmes trans sont des femmes ! Oui, très bien. Et après ?

 La décision de la cour suprême du Royaume-Uni de décréter que les individus sont assignés à un genre en fonction de leur sexe biologique a provoqué une vaste campagne de soutien aux personnes trans dans les milieux militants. Nombre d’organisations et de personnalités de gauche se sont scandalisés de cette décision, souvent en rappelant que les femmes trans sont des femmes. Cette prise de position est nécessaire et démontre des changements opérés dans la gauche depuis plusieurs années. En 2024, la campagne « riposte trans » face à la proposition de loi d’interdiction des transitions pour mineur avait connu un écho inédit, avec l’organisation de plusieurs journées de mobilisation partout en France et le soutien de certaines organisations qui jusqu’à lors ne se positionnaient que timidement, à l’instar de la CGT.

Aujourd’hui dans la très grande majorité de la gauche française les revendications à des vies dignes pour les personnes trans ne font plus débat. Si cette étape est importante, elle reste malgré tout insuffisante. Au-delà d’une prise en compte et d’une défense de principe de l’existence des personnes des trans, il n’y a souvent pas grand-chose de plus, et l’utilisation du slogan « les femmes trans sont des femmes » témoigne de quelques faiblesses politiques.

 1/ Un des principaux arguments des transphobes est de dire que les femmes trans ne seraient pas des vraies femmes et mettraient de ce fait en danger les femmes cis dans les espaces non mixtes. Pour elleux les personnes trans sont des personnes malades, dangereuses, dont l’existence doit être débattu et contrôlée par les personnes « normales ».  En réponse à ces argumentaires, déclarer que les femmes trans sont des femmes est une manière de prendre position pour elles, de les intégrer dans la catégorie femme. Le problème c’est que si le positionnement politique est réduit à cette seule phrase, cela revient à ne pas dépasser le cadre imposé par les transphobes et tend à moraliser le débat. 

Ce positionnement tend en effet à légitimer que seules les personnes non-trans peuvent valider le genre des personnes trans.  Le fait que des personnes cis, et de surcroit des femmes cis, « défendent » les femmes trans en déclarant que ces dernières ne les mettent pas en danger revient à prendre part à ce « débat » de « personnes extérieures » qui doivent valider ou non la légitimité des femmes trans. Au fond, on est toujours prisonnier-e-s de la controverse de Valladolid : pour avoir le droit d’exister, les groupes sociaux opprimés doivent attendre que la « norme » décide si oui ou non les individus qui les compose ont bien une âme.

2/Réduire la solidarité nécessaire envers les personnes trans à ce slogan découle de la stratégie de l’inclusivité. Il suffirait d’inclure tout le monde pour résoudre les oppressions. Or à l’heure où les droits des personnes trans régressent au niveau international, il faut urgemment faire le bilan de cette stratégie. Quelques jours après l’élection de Trump la gauche culturelle-libérale américaine s’est levée vent debout contre les décrets anti-trans à coup de messages de soutien, de drapeau dans des concerts et de tweet.

Cela n’a en rien empêché l’administration d’extrême-droite de mettre ses projets en application : car au-delà des déclarations et des postures, ce qui fait réellement avancer les choses dans un monde régi par des luttes et des rapports de force, c’est l’action. Or l’inclusivité est une anti-politique de l’action : elle rend passives les personnes opprimées qui attendent de la « norme » qu’elle les inclut ; elle tend aussi à réduire l’action de la « norme » à des déclarations et des politiques de marchepied interne, ce qui peut avoir des effets positifs à court terme mais ne change en rien le rapport de force général. Lorsque le vent tourne, la question n’est pas de savoir si telle structure permet d’inclure tout le monde, mais comment balayer les forces adverses et chercher à emporter les systèmes de domination.

3/ Réduire ce qui se passe au Royaume-Uni à la question de la légitimité des femmes trans à être des femmes occulte le cœur du débat. En assignant les genres en fonction du sexe biologique il y a certes une volonté de nier l’existence des personnes trans, mais se cache derrière, en creux, la marche en avant d’un projet de re-naturalisation des genres.  Si les femmes sont réduites à leur sexe biologique, alors le social n’influence plus la construction des individus. Et si le social n’importe plus, il n’y a aucun rapport de domination ni système qui explique les inégalités. Tout est naturel, et on s’en remet à la fatalité génétique pour rendre compte des « drames » de la vie. Pour contrer ce discours il ne s’agit pas seulement d’agir en miroir mais bien de démasquer le procédé et en faire le cœur de la bataille.

Oui nous sommes des individus sociaux qui vivent dans un monde social en lutte, pris au cœur de multiples rapports de dominations qui s’imbriquent et font système. Et c’est parce que l’imbrication de ces dominations est la cause de violences et d’inégalités concrètes et matérielles qu’il est nécessaire d’accorder des droits spécifiques aux groupes sociaux opprimés. Dans ce cadre il ne s’agit pas d’accorder aux femmes trans le statut de femme de manière abstraite mais de considérer que les violences transmisogynies fonctionnent comme les violences misogynes et que  seule la pleine et entière égalité de droit et de traitement de l’ensemble des femmes – cis comme trans – peut permettre à l’ensemble de vivre dignement : pour les femmes trans, de pouvoir avoir accès à une panoplie de droits légitimes pour vivre dignement ainsi que d’espaces partagés avec le reste des femmes afin d’assurer les conditions matérielles de survie dans des espaces sociaux pouvant être hostiles et exposant à la violence machiste ;  pour les femmes cis, de ne pas être assignées à un rôle biologique / reproducteur et, se faisant, de pouvoir échapper à un certain nombre de violence, de tri (car quand on commence à trier les femmes cis des femmes trans, ensuite vient le tri entre les femmes cis selon leur possibilité de bien performer le genre, ou si elles correspondent parfaitement à la « biologie » féminine, etc.)  ainsi qu’à un destin « fatalement » inférieur à celui des hommes (moins une société est rigide sur les normes de genre, et plus il est aisé de déstabiliser les hiérarchies de genre).

4/ La re-naturalisation du genre rigidifie aussi son cadre : au-delà de la légitimité des femmes trans à être des femmes, il s’agit aussi de nier l’existence des hommes trans et des personnes non-binaires. Tout le monde doit être réduit à une fonction précise, un rôle « d’homme social-biologique » ou de « femme sociale-biologique », et tout ce qui sort de ce cadre ne doit plus être toléré. Il s’agit donc aussi de mettre au pas l’ensemble des individus et d’exiger d’elles-eux qu’ielles ne débordent jamais du cadre imposé par le système. Lutter contre l’assignation du genre en fonction du sexe biologique n’est pas qu’une question d’égalité trans/cis ou femme/homme. Le système de construction du genre actuel est un des piliers de l’exploitation capitaliste. Il permet de classer les hommes et les femmes en fonction d’attributs utiles au système, et en particulier d’assurer sa reproduction. C’est parce que les femmes sont assignées au travail de reproduction sociale effectué gratuitement ou mal rémunéré et parce qu’on leur assigne aussi la tâche de « reproduire l’espèce » que le capitalisme peut tourner sans avoir à se soucier de ces tâches.

Or, c’est essentiel à son fonctionnement : si le travail de reproduction sociale, qui permet à l’ensemble de la population d’être « apte » au travail n’était pas naturalisé et donc invisibilisé, le capitalisme ne pourrait pas accroitre ses marges sans cesses. En ce sens chercher à défaire le genre n’est pas une posture de développement personnel pour les personnes trans et non-binaire. Cela devrait être aussi une réflexion collective de l’ensemble de la gauche se prétendant anticapitaliste : plus le genre sera dénaturalisé, fluide et trouble, et moins il sera possible pour le capitalisme de continuer à invisibiliser le travail de reproduction sociale ou à ériger le modèle hétéronormé de la famille nucléaire comme seul destin possible d’accomplissement social hors travail. De là pourrait plus aisément se poser la question de la socialisation des tâches essentielle à la vie, repenser les temps et les rythmes sociaux, aller vers plus de collectif, dans toutes les sphères de la vie.

5/ Il est nécessaire d’analyser ce qui se passe actuellement jusqu’au bout afin d’en tirer des stratégies claires à même d’inverser le rapport de force. Cela doit passer par remettre au centre la réalité matérielle des conditions de vie des personnes trans et des violences qu’elles subissent afin d’établir des revendications positives qui puissent permettre à chacun-e-s de vivre dignement, comme le changement d’état civil libre et gratuit, l’accès inconditionné aux espaces « non-mixtes » ou encore de réelles politiques de lutte contre la transphobie qui prennent en compte ces réalités concrètes.

Au-delà il s’agit aussi de lutter contre la construction actuelle du genre, de déstabiliser le système, en promeuvant tant des politiques institutionnelles d’éducation et de formation non-genrées et qui remettent en question la sacralité du modèle hétéronormé de la famille nucléaire que toutes les initiatives communautaires et militantes qui visent à disloquer le genre et à construire des modèles plus collectifs d’organisation de la vie sociale. En ce qui concerne la lutte, enfin, en finir avec la passivité des politiques d’inclusivité et appeler à l’action. Soutenir l’auto-organisation des personnes trans – car, dans l’histoire, aucune victoire sociale n’a jamais été obtenu sans la participation active des personnes opprimées – et mener, ensemble, des campagnes offensives, massives, pour en finir avec la transphobie et toutes formes de dominations.

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