Au même moment la France a été témoin d’un regain d’antisémitisme marqué notamment des profanations de cimetières et des graffitis anti-juifs. Nous pensons que ces phénomènes sont liés.
Passivement, nous avons assisté à l’ensemble des débats qui ont donné suite à ces polémiques, mélangeant à la fois une mauvaise connaissance de la laïcité mais également une intolérance croissante au sein de notre société. Car, en effet, quel est l’intérêt de sorties rappelant que nous avons chacun d’entre nous le droit d’être islamophobe lorsque la France a aujourd’hui besoin de parler de tolérance et d’union nationale ? En tant que juif et musulman, nous ne voyons aucun intérêt à dessiner une telle société, et nous pensons qu’il est possible de continuer à la bâtir ensemble sur les bases de la solidarité.
Nos religions nous enseignent à nous respecter mutuellement et à également prier pour notre pays. La France est un pays qui nous a tout donné ; nous y avons fait nos études, nous pouvons librement y exercer notre religion. Mais lorsque ce même pays, qui nous a tout donné, donne la parole à des idéologues qui, sur toutes les chaines de radios et de télévision, dévoient la laïcité, nous nous unirons, juif et musulman, pour les combattre et pour faire entendre une autre voix, celle de la solidarité et du débat républicain.
Disons les choses très clairement : la laïcité n’est ni l’athéisme d’Etat, ni la détestation des religions, ni la neutralisation des religions dans l’espace public. Elle vise avant tout à proclamer la liberté de conscience afin que chacun soit libre de croire ou de ne pas croire, de porter un voile ou de porter une kippa, d’avoir le style vestimentaire qui lui convient. Dire que la laïcité interdit le fait que la religion se pratique dans l’espace public est un leurre car la loi de 1905 affirme exactement l’inverse. Les processions publiques y sont autorisées sous réserve de l’obtention de l’arrêté préfectoral. Le principal obstacle à l’union nationale n’est pas la différence, religieuse ou idéologique, mais l’impossibilité d’en débattre sainement à l’heure où tout discours religieux est hâtivement taxé d’obscurantisme.
Mais il existe également, ces derniers temps, une concurrence malsaine qui s’impose dans nos sociétés : désormais on différencie les musulmans des juifs et des chrétiens aux motifs que notre pays a un patrimoine judéo-chrétien. Si cela peut être tenu pour établi, nous, religieux pratiquants, refusons cette concurrence. Nous souhaitons une harmonie, un respect mutuel et réciproque, et nous pensons que les religions ont encore un message moral fort à incarner dans la sphère publique. A chaque fois que la laïcité aura été détournée pour discriminer une partie de notre population et étouffer sa parole, nous ne nous cacherons pas derrière nos écrans d’ordinateur mais nous dénoncerons ce qu’on considère comme de l’intolérance.
Il existe une véritable nécessité de s’unir non pas pour construire un front religieux contre un front laïque. Il s’agit en réalité de s’unir pour empêcher qu’un musulman, un juif ou un chrétien soit l’objet de discriminations sous nos yeux sans qu’aucune réaction ne voie le jour. Il est nécessaire que chaque communauté prenne conscience que lorsqu’on en attaque une, ce sont toutes les autres qui sont visées à travers elle. Car à travers la libération de la parole antisémite et islamophobe, ce sont nos libertés religieuses qui sont visées. La circoncision, l’abattage rituel font fréquemment l’objet de débats virulents en France et au sein de l’Union Européenne, et nous nous devons de formuler une réponse qui unisse les voix juive et musulmane.
Appelons à un grand rassemblement de la fraternité. Rappelons que les termes Liberté – Egalité – Fraternité sont également applicables aux musulmans, aux juifs et aux chrétiens, sans compter nos autres frères en religion, ainsi qu’à toute la nation française.
Par Asif ARIF, Avocat à la Cour, auteur spécialisé sur les questions d’islam et de laïcité. Auteur du livre « Être Musulman en France ».
Par Emile ACKERMANN, Rabbin orthodoxe en formation, co-fondateur d’AYEKA, militant pour une voix juive, française et moderne.